Pas évident de circonscrire le périmètre cinématographique d’Elle l’adore, le premier long métrage de Jeanne Herry. Polar, comédie noire, réflexion autour de la mythomanie tout autant que de la fan attitude, le film amalgame des changements de ton, d’ambiance et d’écriture scénaristique. Mais loin de se laisser dépasser par son ambition ou son sujet, la jeune réalisatrice synthétise ce kaléidoscope d’images avec une précision de chef d’orchestre pour livrer un drôle de polar, une tragi-comédie, un très bon film en somme.
Des posters sur les murs
Muriel (Sandrine Kiberlain) idolâtre depuis son adolescence Vincent Lacroix (Laurent Lafitte), un chanteur à minettes qui n’est pas sans rappeler Patrick Bruel et son cortège de fans prépubères devenues quadras au fil de sa carrière. Lettres, posters collés aux murs, présence à tous les concerts, la jeune femme n’a pas pour autant le profil d’une psychopathe amoureuse d’une star de papier glacé. Séparée, mère de deux enfants dont elle n’a pas la garde, esthéticienne, elle coule des jours paisibles et monotones qu’elle agrémente parfois de quelques fariboles pour épater ses amis. Quand son héros vient sonner à sa porte pour lui demander un service, elle ne peut refuser. Mais l’engrenage alors mis en branle va profondément modifier son petit quotidien bien huilé.
Fille de stars (Julien Clerc et Miou-Miou en géniteurs), Jeanne Herry doit mieux que quiconque savoir ce que représentent l’omniprésence de fans et la notion de notoriété. Si le choix de sa thématique ne paraît donc pas incongru, son traitement lui étonne à plusieurs égards. Le désamorçage systématique des clichés attendus sur la relation fan/star se révèle ainsi une des forces d’Elle l’adore. Exit Misery et les relations maître/esclave. Le personnage de Muriel n’est pas une hystérique obsessionnelle. Elle a beau s’époumoner en criant le nom de Vincent lors de ses concerts, sa passion se résume plus à une béquille existentielle qu’à un amour pathologique. La survivance de ce béguin adolescent remplit les vides de sa vie tiède, sans plus. De son côté Vincent, star adulée depuis quelques décennies porte sa célébrité sans souffrance, ni atermoiement. En éradiquant purement et simplement toutes les psychoses attendues de ses personnages, Herry installe un univers réaliste, crédible et expurgé d’une lecture simpliste.
L’art de la mythomanie
La première séquence du film, anecdote racontée par Muriel à ses enfants, contient sans qu’on y prenne gare, toute l’essence et l’intelligence du projet. Muriel aime raconter des histoires, enjoliver son quotidien comme lorsqu’elle annonce à ses amis qu’elle a viré une parente de Klaus Barbie du salon esthétique où elle officie. Par un montage subtil, où les éléments à l’écran sont démentis lors de scènes ultérieures, Herry ménage non pas un suspense mais une déconstruction minimaliste des affres de la mythomanie.
Campée par une Sandrine Kiberlain royale, Muriel effeuille progressivement sa psyché et met à jour sa manie chronique. Alors qu’on s’attend à ce que cette tendance devienne le talon d’Achille de la jeune femme, elle se transforme à l’occasion de la garde à vue du personnage en véritable atout. Tandis que le service qu’elle a rendu se retourne contre elle, elle déjoue les interrogatoires à coup d’improvisations imparables. Excessivement bien écrits et prompts à créer des instants d’une drôlerie réjouissante (comme la référence au peigne de Tina Turner), les échanges musclés entre Sandrine Kiberlain et Pascal Demolon (le policier en charge de l’enquête) constituent le cœur du film et sans aucun doute sa partie la plus aboutie. Moments de bravoure et de joutes verbales, ils redessinent les contours de la protagoniste, jusqu’alors fille effacée et bonne poire. L’oie blanche prise au piège de sa star se mue en menteuse effrontée, convaincue et convaincante. Ces renversements de personnalité, sel scénaristique inattendu, ne contaminent pas uniquement Muriel. Vincent, l’homme sûr de lui perd de sa superbe jusqu’à quémander de l’attention à celle qui incarne alors son salut. Un comble.