Doit-on réhabiliter Édouard Molinaro, estampillé aimable « faiseur » du cinéma populaire français, régulièrement adoubé par les programmateurs du petit écran, mais rarement par les critiques ? Habitué des grands succès commerciaux — 5,4 millions d’entrées pour La Cage aux folles en France et 8 millions aux États-Unis (!), Molinaro se spécialise dès les débuts de sa carrière dans la comédie burlesque à la française, et en devient rapidement, avec Gérard Oury, l’un des meilleurs représentants, au point que ses films font parfois l’objet de remakes américains. Il a la présence d’esprit de s’entourer de comédiens qui peuvent tenir les films les plus « casse-gueules » — tels que Louis de Funès, inoubliable Hubert Barrère de Tartas dans l’oubliable Hibernatus. Avec L’Emmerdeur, première apparition au cinéma du désormais célèbre François Pignon (pour le meilleur et, par la suite, parfois pour le pire), Molinaro et son scénariste Francis Veber réinventent le principe du duo comique et laissent à leurs deux acteurs le soin de s’en donner à cœur joie. Il faut reconnaître que ce n’est pas tout à fait en vain.
Le buddy movie à la française a longtemps été associé au duo comique Bourvil/De Funès et à ses variantes (tels que De Funès/Montand dans La Folie des grandeurs), soit l’association de deux caractères diamétralement opposés, souvent dans une dialectique du bon/altruiste et du méchant/mégalo, le « bon » recueillant l’affection immédiate du spectateur. Avec la création du personnage de François Pignon, le genre prend un peu de maturité en renversant les catégories : comment ne pas prendre pitié du tueur à gages emporté malgré lui dans une spirale infernale, sauveur de vie sans le vouloir et empêché de tourner en rond par un personnage plus insupportable qu’émouvant ? L’effet est d’autant plus réussi qu’il est porté par le visage dur de Ventura (qui n’esquisse pas un seul sourire tout au long du film) et celui, angélique, de Brel.
Rendons néanmoins à César ce qui revient à César. Si l’alchimie détonnante des deux comédiens est pour beaucoup dans la réussite comique du film, Molinaro prouve souvent, au-delà d’un don évident pour la direction d’acteurs, une vraie maîtrise cinématographique du burlesque, soit le fait de déclencher le rire par la violence des coups et situations subies par les personnages. Le film pâtissant d’une introduction type thriller à la limite de l’inutile, c’est véritablement à partir de la première rencontre Ventura/Brel, quand le rythme s’emballe enfin, que L’Emmerdeur parvient à atteindre de réels sommets de comédie (notamment dans la scène de suicide du haut d’un immeuble, au timing impeccable), tout juste freiné par quelques longueurs liées au personnage de la femme de Pignon — L’Emmerdeur ne se distingue évidemment pas par son féminisme. Certes, l’hystérie collective, typique de la comédie misanthrope à la française où aucun personnage ne réussit à être véritablement attachant, finit par lasser au bout d’une heure de film. Reste que L’Emmerdeur peut se valoir d’un vrai statut de divertissement de qualité, ce qui ne sera pas toujours le cas, par la suite, dans les films de la franchise François Pignon.
Réhabilitons donc Édouard Molinaro. Mais sans excès, bien sûr.