Un homme, une femme, une histoire d’amour impossible. Éperdument pourrait ressembler à de nombreux drames romantiques où les amants se heurtent au mur de la réprobation sociale ou morale. Mais pour son deuxième long métrage, Pierre Godeau a choisi d’explorer une idylle qui a défrayé la chronique en 2010, celle d’un directeur de prison et d’une détenue, celle de Florent Gonçalves et d’Emma S., la jeune fille qui a servi d’appât au gang des barbares.
Loin du réel
Adapté du livre témoignage du fonctionnaire aujourd’hui déchu, Éperdument n’affiche pourtant jamais ses origines de fait divers, le réalisateur ayant préféré changer les patronymes de ses personnages et taire le crime de son héroïne. Au mieux, au détour d’une séance à huis-clos entend-on le procureur fustiger cette génération de jeunes femmes dont le corps est devenu une arme, et le désir d’en découdre avec la société une obsession. Cette farouche volonté de s’extraire du réel (et de l’abjection des actes commis par ce gang) sert et dessert le film, lui donnant un vernis d’universalité tout en le coupant des motivations d’Emma, renommée ici Anna. Adèle Exarchopoulos, qui campe cette post-adolescente mutique et magnétique, n’est ainsi pas encombrée, et c’est dommage, du poids de la culpabilité ni même tourmentée par une éventuelle remise en question. Le personnage n’est pas pour autant exempt de passé. Les visites régulières de sa mère excavent ainsi les liens conflictuels qui les unissent et laissent entrevoir la responsabilité de l’une sur les dérives de l’autre, le film choisissant délibérément d’éclairer un pan de la vie d’Anna avant l’emprisonnement, au détriment de ce qui aurait pu constituer une plongée dans une psyché en souffrance.
En surface
L’ancrage dans le présent, le seul temps possible durant une longue incarcération, l’évolution des sentiments des personnages et les délits commis par Jean pour protéger ou privilégier sa maîtresse (Guillaume Gallienne) constituent la trame narrative de ce drame où le passé (le crime) et le futur (une hypothétique vie à deux après la libération d’Anna) n’existent pas. On doit donc se contenter d’une amourette adultérine, car le directeur de prison est marié, trame somme toute classique, si ce n’est sa localisation atypique (le milieu carcéral). Malheureusement, si Godeau oublie de traiter la psychologie d’une jeune criminelle, il échoue aussi à singulariser sa romance. Malgré un décor où intimité et claustration s’interpénètrent de manière troublante, la mise en scène n’épouse jamais les espaces fermés et asphyxiants comme autant d’arrière-cours d’une histoire d’amour inhabituelle. Alors même qu’un lien philosophique peut être établi entre les deux formes d’enfermement que sont la prison et les jeux de télé-réalité (en boucle sur les écrans des détenues), le parallèle demeure superficiel et creux, virant même au kitsch lors d’une scène insolite. Quant aux têtes-à-têtes, qu’ils soient des moments sentimentaux ou sexualisés, ils ressemblent étrangement aux premiers rendez-vous d’un couple ordinaire. Choisir d’édifier un quotidien banalisé à ses tourtereaux, pourquoi pas mais encore aurait-il fallu mettre en abyme ou interroger cette quête de normalité. Que nenni ! Encore une fois, le film survole une piste potentiellement intéressante qui reste désespérément inexplorée.
Éperdument se fixe ainsi un bien maigre objectif (observer de loin une histoire d’amour, de ses balbutiements à son chant du cygne). Quand on envisage le saut dans le vide qu’a dû représenter cet attachement inattendu pour le directeur de la prison et l’incroyable bouffée d’oxygène que cette situation a dû procurer à la jeune fille, sans compter les tourments moraux qui ont dû les étreindre, on se dit qu’Éperdument manque cruellement de chair, de folie et d’amour.