Il y a toujours un certain engouement mêlé de crainte à voir un film auto-produit pointer son nez en salles. Celui-ci n’étant financé ni par le CNC, ni par une aide régionale, il est le fruit d’une confiance absolue du créateur envers son œuvre, prêt à y investir de son temps et de son argent. Dans le même temps, les contraintes économiques qui s’adjoignent naturellement peuvent contrarier l’ambition du projet. À l’instar de ses précédentes réalisations, Agnès Fouilleux a produit, écrit, tourné et monté seule son film. Du fait de ce mode de production autonome, Être plutôt qu’avoir ? se voit offrir une distribution en salles restreinte (une vingtaine de salles actuellement). Un documentaire qui sera sans nul doute difficilement vu par beaucoup, alors même que son ambition formelle le destinerait sans problème à une diffusion télévisuelle.
Another Brick in the Wall
Agnès Fouilleux est une habituée des films que l’on a tendance à qualifier abusivement de « guérilla », à savoir des films financés par les artistes eux-mêmes, engagés politiquement et évitant le circuit classique de distribution. Son précédent documentaire, Un aller simple pour Maoré, tourné en 2007 mais sorti en 2009, dénonçait les cendres de la décolonisation à Mayotte, entre migration forcée et ingérence étatique. Au vu du sujet, on peut comprendre sans peine que celui-ci pouvait désarçonner et inciter les chaînes de télévision à refuser un tel film à charge. Dans Être plutôt qu’avoir ?, le pamphlet est moins virulent, même s’il remet en cause en profondeur le système éducationnel français. Sans méchanceté, mais avec une grande tendresse, le film déploie ses arguments avec clarté et limpidité : laisser plus de place à l’enfant dans sa propre construction, en confrontant directement l’apprentissage avec l’expérience pratique.
C’est tout un système de représentations que remet en cause Agnès Fouilleux, qu’elles soient sociales, figuratives ou éthiques. Refuser la culture de l’écran actuelle au profit de l’apprentissage en classe verte est une belle notion, mais les moyens de l’aborder dans le film réduisent très vite à néant tout discours. Le film souhaite laisser de la place à l’enfant, mais n’en interviewe aucun. De même, il rejette et condamne l’esthétique télévisuelle, tout en adoptant lui-même des codes de représentation purement broadcast. En construisant ses séquences sur des interviews ponctuées de plans de coupe illustrant le propos, l’œuvre n’invite pas à ouvrir le champ de la réflexion, mais l’étreint dans un système qu’il dénonce lui-même. Ce paradoxe mène à une confusion entre un sous-texte discursif concret et un dispositif de narration proprement informatif.
Il est d’autant plus dommageable que les quelques images de cinéma qui interviennent régulièrement amenaient à une réflexion plutôt pertinente sur le pouvoir de celles-ci. La jeune réalisatrice ouvre son film sur une représentation animée de la légende du joueur de flûte de Hamelin, insistant sur la puissance métaphorique du cinéma pour décrire une réalité sociale sous un angle onirique. Cette belle introduction aurait mérité à ce que la suite du film, marqué par les extraits réguliers du Zéro de conduite de Jean Vigo, bénéficie de cette poésie singulière et subversive qui caractérisait l’œuvre du cinéaste. En restant scolaire et méthodique dans sa narration, le film ne dépasse finalement pas le stade du reportage illustré.