En métropole, on sait peu de chose des confettis d’empire que la France a conservés aux quatre coins du globe après le grand mouvement de décolonisation des années 1950-70. Il ne faut pas compter sur les grands médias pour nous éclairer sur la situation historique, économique, sociale et administrative particulière de ce que depuis 2003 on nomme les « collectivités d’Outre-Mer ». C’est à partir de ce constat que la documentariste Agnès Fouilleux s’est rendue sur l’île de Mayotte – également appelée Maoré –, pour y dévoiler l’héritage désastreux de la Françafrique. Son film date de 2007, il sort directement en salles après avoir été refusé par les grandes chaînes de télévision – mais faut-il s’en étonner?
Un aller simple pour Maoré paraît répondre aux cahiers des charges d’un documentaire télévisuel: construction linéaire, enchaînement d’interviews d’officiels, d’experts, de témoins et d’individus lambda entrecoupées par des scènes de la vie quotidienne elles-mêmes bercées d’extraits musicaux. Pourtant, aucune chaîne n’en a voulu, ni au stade de la production (le film est entièrement auto-financé et son générique annonce fièrement qu’il a été « réalisé sans le soutien du CNC et sans le soutien de la région Rhône-Alpes »), ni à celui de la diffusion: seule la petite France Ô s’est dévouée et l’a programmé en avril dernier. Mais le contenu explosif du film appelait plus qu’un simple passage sur une chaîne relativement confidentielle qui s’adresse prioritairement aux Français originaires d’Outre-Mer.
Car c’est un bien plus large public qui mériterait d’apprendre l’histoire trouble du référendum d’indépendance des Comores de 1975, les liens du mercenaire Bob Denard avec les services secrets français, les trafics avec l’Afrique du Sud du temps de l’Apartheid. Et ce sont tous les citoyens français qui sont concernés par le drame d’une population comorienne asphyxiée politiquement et économiquement par le néocolonialisme: c’est en notre nom qu’on l’a spoliée hier, et c’est encore en notre nom qu’aujourd’hui l’on stigmatise, traque et expulse les clandestins installés à Mayotte.
Un aller simple pour Maoré révèle une hypocrisie dont il est victime à son tour, en suscitant l’insidieuse censure des chaînes de télévision. Agnès Fouilleux a pourtant eu l’intelligence de réaliser un documentaire politique qui ne soit pas militant, c’est-à-dire à sens unique. Elle a ainsi interviewé le préfet de Mayotte, qui présente la version officielle complaisamment relayée par les médias français. Reste que le déphasage entre ce discours (et les extraits des reportages télévisés qui émaillent Un aller simple pour Maoré), et les autres témoignages recueillis par la réalisatrice, est accablant. Ainsi, lorsque le fonctionnaire terne se réjouit en termes purement comptables des « moyens supplémentaires » – dont deux radars, des avions et une présence accrue de la marine nationale… – qui seront bientôt mis en œuvre pour traquer et refouler des « clandestins » qui n’en sont pas du strict point de vue du droit international (l’ONU continue encore aujourd’hui de considérer cette île comme rattachée au territoire indépendant des Comores), songe-t-on au drame de ces Comoriens. Ceux-ci, poussés par le désespoir, bravent l’océan sur des embarcations de fortune et lui versent chaque année un lourd tribut estimé à plusieurs centaines de morts. Et l’on comprend pourquoi la France, « pays des Droits de l’Homme », sait parfois se faire si discrète lorsqu’il s’agit de défendre les peuples opprimés par d’autres grandes puissances coloniales.
On ne peut que se réjouir lorsqu’un réseau constitué de quelques salles d’art et d’essai combatives, comme le réseau Utopia ou l’Espace Saint-Michel à Paris, endosse la mission d’information citoyenne qu’une télévision soumise aux impératifs de l’audimat et aux pressions politiques ne sait plus remplir (au vu de certaines décisions récentes, ce n’est pas prêt de s’arranger). Un aller simple pour Maoré présente par ailleurs d’indéniables qualités formelles, qui justifient sa diffusion en salles : rigueur de la construction et du montage, clarté du propos, richesse de l’habillage musical – de belles chansons réalistes comoriennes et mahoraises, qui viennent soutenir et enrichir la démonstration plutôt que l’illustrer platement. Autant de raisons supplémentaires pour souhaiter au film de rencontrer son public et, qui sait, de relancer le débat sur l’influence française en Afrique et sur sa honteuse politique dite « d’immigration ».