Falling Into Paradise traite de la guerre d’ex-Yougoslavie, en prenant le parti pris de la fable farfelue. Uniquement centré sur le point de vue serbe, c’est vers Kusturica que lorgne Miloš Radović, mais sans jamais réussir à faire décoller son film dans la pure fantaisie métaphorique et dans l’horreur comme son illustre compatriote. Reste une œuvre banale aux folklores des Balkans des plus prévisibles.
Belgrade, Avril 1999. En raison de l’embargo de l’OTAN, la capitale serbe est isolée du reste du monde. Les avions de surveillance américains grondent sans cesse au-dessus de la ville. C’est sous ce défilé aérien, ponctué de bombes, que s’agite une famille d’originaux menée par Lubi, roi du marché noir. Tandis que ce dernier supporte mal la présence américaine, sa sœur Dusha, mère célibataire, n’attend qu’une chose, qu’un Américain l’amène vivre aux États-Unis. Rendu fou par ce comportement, Lubi décide d’abattre un avion avec un missile soviétique. Mais un parachutiste atterrit sur la terrasse de la maison et les déboires commencent…
Se situant à la fin du conflit yougoslave, Falling Into Paradise surprend au premier abord. Étonnement dû au fait que loin d’être une tragédie sur une ville assiégée ou un drame sur la fin d’une des guerres les plus sanglantes du XXe siècle, Miloš Radović choisit le parti de la comédie loufoque. Uniquement centré sur le point de vue serbe, souvent occulté, le film se révèle plein de promesses et de choix cinématographiques audacieux. De plus, le fait d’interroger la relation attirance/répulsion que la Serbie éprouve à ce moment du conflit pour l’Amérique plus que la guerre en elle-même, semble proposer une réflexion pertinente sur l’hégémonie américaine au lendemain de la chute du communisme.
Mais la mayonnaise ne prend pas. La faute à un scénario trop sage qui ne verse jamais dans la folie pure, là où il aurait fallu y sauter à pieds joints. L’histoire, trop fabriquée, n’est pas portée par le trouble de la guerre mais plutôt par une vision assez folklorique du conflit et de la Serbie. Une vision de carte postale propre et trop correcte. La guerre, comme la propagande de Milošević, reste trop abstraite et ne semble pas vraiment atteindre des personnages stéréotypés au possible. Ils finissent par manquer cruellement d’humanité et de complexité. Jamais la face sombre ou ambiguë de la situation ne nous apparaît et le film devient alors une comédie assez banale, aux gags pas toujours drôles. On assiste plus à une sorte de ronde de pantins prisonniers de leurs performances et d’un scénario trop carré, qu’à une réelle chorégraphie baroque.
Dans les plates-bandes de Kusturica, voilà un film faussement téméraire qui s’aligne sur le rayonnement international de son illustre compatriote, sans jamais chercher une voie propre de création. Un nouvel académisme serbe en quelque sorte. Miloš Radović utilise même deux acteurs du maître dans les rôles principaux, le grand Lazar Ristovski, héros d’Underground, et Branka Katić qui interprétait Ida dans Chat noir, chat blanc. Ce rapprochement avec Kusturica montre aussi les limites de la mise en scène de Radović. Ici, jamais les fulgurances insolites ne viennent sortir le film et le propos de ses gonds, jamais ils ne débordent d’eux-mêmes comme dans les délires outranciers du réalisateur d’Arizona Dream. On songe à l’hyperbole de Kusturica mais aussi à sa générosité, qu’il avait pu évoquer dans La vie est un miracle, autre fable optimiste sur la guerre autrement plus bouleversante que ce film-ci. La référence devient trop écrasante et dénuée d’une vraie vision du cinéma : elle tombe à plat.
Ce monde de fou que nous découvrons en même temps que le soldat américain, c’est le pays des clichés et des lieux communs sur les Serbes et la guerre. Le postulat soutenu par Falling Into Paradise (la vie est une mauvaise farce) se retourne finalement contre lui. Au spectateur de se demander plutôt si ce n’est pas le film lui-même qui en est une…