C’est à une petite compagnie théâtrale australienne, la Windmill Theatre, qu’on doit cette comédie de coming-of-age (passage à l’âge adulte) vaguement fantastique et curieusement fagotée. Pour ce galop d’essai au cinéma, l’équipe adapte l’une des quelques pièces de son répertoire plutôt orienté tous publics (ici s’adressant plus spécifiquement aux adolescents). L’héroïne Greta, bientôt 15 ans, aborde la perspective de la maturité dans la plus grande détresse, d’autant plus que ses parents, inquiets de son extrême timidité et de sa solitude sociale, lui forcent un peu la main en organisant sa fête d’anniversaire avec tous ses camarades de lycée. Réfugiée une nouvelle fois dans son cocon, les mains sur sa boîte à musique, elle se trouve inopinément projetée dans un univers parallèle peuplé de créatures issues tant de son imaginaire que de ses peurs de la réalité — où elle devra régler ses comptes avec les dernières figures qui l’empêchent de grandir. Le mélange des genres est risqué, et le film tente par sa forme de tirer un trait d’union — sans pour autant pouvoir masquer son inégalité.
Le conte n’y est pas
Sans qu’il y ait lieu de tomber dans le piège de parler de « théâtre filmé » à l’encontre de ce premier film de la compagnie, il n’est pas simple d’y définir le réel désir de cinéma qui l’anime. Au moins décèle-t-on l’envie de tourner des plans de cinéma, d’investir avec son cadre en format 1.33 les espaces bien circonscrits qui accueillent les scènes. Une trouvaille formelle en particulier (fixer la caméra sur le plateau tournant d’une table de salle à manger pour filmer une famille sur 360 degrés — alignant ainsi le filmage sur le rythme du repas) apparaît comme un léger symptôme de ce qui est néanmoins le plus évident moteur de Fantastic Birthday : une démonstration de do-it-yourself, de « film fait main » comme Michel Gondry en fait volontiers l’éloge. Cette déclaration esthétique se fait particulièrement sentir tout au long du passage fantastique où la direction artistique allie le gentiment cheap et le papier mâché. Sur ce point, hélas, le film rate son coup : le supposé fantastique de ce passage ne fonctionne jamais. Son problème est que ses auteurs ne se donnent même pas la peine de croire un peu en ce potentiel fantastique, qui reste coincé entre tout ce qui est convoqué pour le créer. Soit : le collage de clés évidentes vers le réel de Greta (tel personnage de livre ou telle personnalité intimidante trouvera son reflet dans l’autre monde) ; une application d’une littéralité lassante des théories sur la psychologie des contes de fées (les auteurs se flattent d’avoir lu Bruno Bettelheim) ; et une incapacité à compenser le manque de moyens par une inventivité convaincante — des effets, de la direction artistique, des rencontres, des apparitions, tout d’une inconsistance jamais relevée, fût-ce par le charme du « fait main ». Le n’importe comment avec lequel est filmé le combat de Greta contre le « boss final » (des sœurs jumelles qui, dans la réalité, la terrorisent au lycée) enfonce le clou : ce conte de fées dans le film est traité comme un passage obligé d’un récit de coming-of-age voulu décalé et léger, mais pour connecter cet imaginaire fabriqué à la réalité de la tentation régressive, il aurait fallu une croyance et un investissemment plus sincères.
Règlement de compte
Heureusement pas très long, cet intermède encombre néanmoins Fantastic Birthday comme un bouton d’acné, d’autant plus visible que le reste du film, avant et après lui, se trouve bien plus à l’aise pour incarner son sujet, malgré quelques effets éveillant la circonspection de prime abord. Car si Michel Gondry pourrait avoir influencé le segment fantastique, la réalité de Greta a de quoi paraître soumise au mauvais génie qui murmure à l’oreille de Wes Anderson, notamment dans ce côté « maison de poupée » qui raidissait particulièrement The Grand Budapest Hotel. Sous prétexte de légèreté obligatoire, les personnages autour de Greta sont presque tous empreints de loufoquerie (ou, comme la bande de filles qui la terrorise, d’une dimension de créatures étranges), et les élans de la vie lycéenne immortalisés par des ralentis outrés jouant entre la suspension contemplative et l’ironie. Cependant, ces coquetteries ne cadenassent jamais les personnages, laissant tôt ou tard passer un accent — de peur, de désir, de cruauté — qui les sauve du statut d’objets rigolos qui pourrait les menacer. C’est particulièrement flagrant pour les parents, dont les airs perchés ne s’avèrent qu’un délicat vernis qui laissent vibrer leurs inquiétudes face à l’étrangeté sociale de leur fille et les failles de leur propre souci de contrôle. La confrontation entre Greta et eux n’est d’ailleurs pas sans intérêt, faisant sensiblement onduler le chemin tracé vers l’abandon de la régression. Face à des adultes qui, derrière leurs airs bienveillants, enfreignent son droit à l’intimité vis-à-vis du monde extérieur, elle peste, se rebelle, affirme une conscience de soi que ses airs de bestiole apeurée du début du film ne laissaient pas vraiment paraître. Elle est alors déjà hors de sa coquille, hors de l’innocence, bien qu’elle ne le réalise pas encore. Ironiquement, tout cela rend le passage « conte de fées » d’autant plus dérisoire et dispensable : le film transforme assez bien le réel en monde imagé, peuplé de créatures dont l’excentricité certes un peu tapageuse n’est qu’un déguisement pour l’humanité.