Au Mali, Zan retourne dans son village natal afin de découvrir qui est son père. En poussant les villageois à moderniser la gestion du fleuve voisin, il se confronte à leur immobilisme. Salif Traoré dépeint la vie rurale malienne, tiraillée entre respect des traditions et modernité. Habile, le film peine pourtant à captiver, plus efficace dans la révélation d’un mode de vie que dans sa manière de développer le récit.
Sur les bords du fleuve Niger, au Mali, Sakoro est un petit village de pécheur. L’eau est partout et a quelque chose d’une mer tant son lit est large. Aussi les terres paraissent isolées, comme une petite île que le film ne quittera jamais. Zan, né ici, est parti depuis longtemps. Il y redébarque un matin au volant de son 4x4, avec des outils de mesure qui tranchent avec l’artisanat local. Ce pourrait être l’arrivée du fils prodigue, c’est le retour du bâtard. Sa mère l’accueille entre joie et réticence : il est venu pour découvrir qui est son père. Autour de Zan, tout le village gravite, a son idée sur cet homme qui veut moderniser la gestion du fleuve. Fleuve qui lui aussi pour cette petite mais complète société, a le droit de donner son avis puisqu’il abrite aux yeux des villageois la déesse Faro. Pas de chance pour Zan l’ingénieur, celui-ci s’agite, bouscule les pécheurs et manque d’emporter la belle Penda.
Comme un scénario descend parfois directement de la littérature, en dehors même des adaptations, ici il vient du conte. Figures claires des personnages qui dessinent toutes les classes sociales, grandes questions intemporelles (la tradition et la modernité, la filiation) et présence appuyée de l’oralité et de la gestuelle. Le mariage avec le cinéma est réussi, le jeu ne plombe pas l’image comme on le voit parfois. Après avoir été assistant réalisateur de Souleymane Cissé (Le Vent en 1982, Yeelen en 1987), et d’Abderrahmane Sissako (La Vie sur terre 1997), Salif Traoré trouve dans Faro, la reine des eaux une belle indépendance. Comment, dès lors, expliquer que ce film maîtrisé à tous les niveaux, laisse un peu froid, une légère indifférence face au récit ? Même mystère qui rend parfois grandioses des œuvres formellement ou techniquement faibles. Peut-être que les aspects du conte, pourtant mesurés, renvoient trop ouvertement à l’universalisation. La quête de Zan et sa lutte pour moderniser le village correspondent tellement au combat perpétuel qui traverse l’Afrique et dans une mesure plus ou moins grande tous les continents, que le récit de Faro tend à devenir une pure métaphore, une matérialisation, un « scénario ». Si l’on ne s’ennuie pas, que rien ne sonne faux, Salif Traoré ne parvient pas non plus à faire résonner dans le spectateur la tension qui habite les personnages.
Faro ne manque cependant pas d’intérêts. Il révèle avec beaucoup de précision un monde rural qu’on voit peu dans son quotidien. L’Afrique au cinéma – sauf chez quelques-uns, notamment Sissako et Saleh Haroun – est souvent réduite à une terre en feu supportant les conflits des hommes. Si c’est hélas une réalité, celle de la vie d’un village d’Afrique est aussi une découverte riche d’un continent stigmatisé, plus proche de Jean Rouch et du cinéma ethnographique. Les cases de terre abritent des pécheurs, cultivateurs et artisans dont le travail et la vie quotidienne sont très présents dans le film. Salif Traoré suit aussi les femmes, leurs rôles et leur manière d’être avec les autres, c’est-à-dire ici avec les autres femmes. Il prend leur défense en revendiquant leur droit de s’exprimer face aux homes et aux décideurs, ce qu’elles parviendront à faire à la fin de Faro sans que cela sonne comme un réel espoir. Il y a dans le film des mondes d’hommes (les chefs, les pêcheurs, les artisans…) et des mondes de femmes, des groupes, qui se croisent et se mélangent peu.
On a souvent vu des communautés accueillir un étranger et se confronter au vaste monde à travers sa venue. L’étonnement c’est qu’ici le porteur du monde extérieur est un malien, façon de mettre de coté les problématiques soulevées par les relations entre l’Afrique et l’occident. On retrouvait déjà ce retour chez Sissako dans le très beau La Vie sur terre et chez Ameur-Zaïmeche dans Bled Number One sur un mode bien différent. Zan le Malien qui veut la modernité est bien sûr le double cinématographique de Salif Traoré. Les films de réalisateurs occidentaux sur l’Afrique sont souvent mal perçus, trop rattachés avec ou sans raison à un regard occidental. D’où l’importance ici de ce message et du développement d’une véritable production locale. En tournant son film en numérique Haute Définition dans le but de faire travailler et de former des techniciens maliens, Salif Traoré poursuit sa volonté de modernisation au-delà même du film, avec discrétion et cohérence.