Dans Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe, Kamel arrivait dans une cité de la banlieue parisienne après une expulsion vers l’Algérie où sa condamnation à la double peine l’avait reconduit. Cinq ans après, le deuxième film de Rabah Ameur-Zaïmèche s’ouvre sur le retour du jeune Algérien au « bled » et dresse un portrait sans concessions mais d’une grande douceur, de la réalité d’un pays où la modernité peine à bousculer les traditions ancestrales.
Un lent travelling progresse dans les rues d’un village algérien, suivant le taxi qui conduit Kamel (Rabah Ameur-Zaïmèche, magnétique comme peut l’être un Mathieu Kassovitz) de retour dans un pays devenu étranger. La vie semble avoir ralenti son rythme et permettre aux individus d’évoluer dans un réel ramené à des dimensions humaines.
Rabah Ameur-Zaïmèche traduit cette consistance différente du temps en construisant son film par succession de séquences indépendantes ou se faisant écho. Ces touches, apposées les unes aux autres, s’agrandissent et s’intensifient à mesure que progresse la narration et que se radicalisent les personnages dans leurs conceptions opposées du Monde, et que rien ne semble pouvoir concilier (les désirs d’émancipation se heurtant, par exemple, aux rigueurs traditionalistes). Le film alterne des scènes contemplatives et oniriques (le bateau abandonné sur la plage mais visiblement intact, qui semble ne demander qu’à pouvoir être remis en marche) à d’autres se rapprochant de l’esthétique du cinéma direct. Ce mélange des styles illustre un regard sur le réel qui se livre, plutôt qu’en une vérité brute imposée en un bloc massif (intrigue unique…), comme des pistes à explorer, de la matière suggérée pour construire une réflexion.
Ainsi, Bled Number One aborde sans préjugés ni parti pris des sujets sensibles comme l’extrémisme religieux ou la place de la femme, en prenant soin de ne pas rechercher à dénoncer de coupable (le personnage politique interprété par Ramzy Bedia qui s’y prêtait apparaîtra finalement comme un élément supplémentaire à prendre en compte dans la réflexion globale).
Les femmes et leur place dans la société apparaissent donc comme l’élément central des préoccupations du réalisateur, point de cristallisation des archaïsmes d’une société mais peut-être aussi seul élément capable d’apporter une solution. Louisa (Meriem Serbah) fait dans le film figure de symbole de ces femmes dont les aspirations d’émancipation (elle veut devenir chanteuse contre l’avis de son mari qu’elle finira par quitter) affrontent la violence des réactions de domination et d’oppression justifiées par la tradition.
Cette tradition, loin de toute vision dogmatique, est parfois porteuse, au contraire, de valeurs humanistes (le partage du bœuf ente les habitants du village). La culture des rites qui lui sont attachés apparaît finalement comme la seule alternative à la religion susceptible de participer au maintien d’une cohésion sociale. Au bout du compte, c’est contre l’extrémisme religieux de quelques jeunes croyants que les villageois se fédèrent, sans pour autant s’élever vers une remise en cause collective de la légitimité des comportements et de l’état d’une société visiblement sans avenir (le travail est inexistant, la création artistique, au moins pour les femmes, réprimée…).
Bled Number One offre un point de vue mais ne propose pas de solutions. Le réalisateur pose, à travers Kamel, un regard distancié mais d’une profonde délicatesse (la majorité des plans d’ensemble, en légère plongée, prennent la distance et le recul qui caractérisent son approche) sur certains des aspects de l’Algérie rurale contemporaine qui peine à sortir du malaise dans lequel elle se trouve. « Les fous sont dehors » dira la patiente d’un hôpital psychiatrique de femmes avec une incroyable lucidité. C’est finalement dans cet hôpital, ou la folie permet de s’affranchir des conventions sociales, que l’on trouvera les personnes les plus libérées et les plus épanouies, rendues à la vie par une bulle d’oxygène qui, à l’extérieur, semble toujours lointaine.