« Ils l’appelaient le pays de Dieu, jusqu’à ce que le Diable y mette une femme ! » Le slogan américain accompagnant la sortie de Femme de feu n’est pas sans rappeler La Fontaine : « deux coqs vivaient en paix, une poule survint… ». Est-ce qu’il s’agit de nous dire qu’une femme n’a pas sa place dans l’univers très viril du western ? Ce serait surprenant, pour un projet un temps associé à John Ford, puis confié à André de Toth. Le réalisateur de La Chevauchée des bannis réalise, avec cette adaptation de Luke Short, un western qui puise son ambiance désespérée dans l’ambiance du film noir.
Femme de feu puise son schéma basique dans le canon du western – une guerre de territoire entre plusieurs propriétaires – et y greffe l’ambition double d’une femme : faire partie de ces belligérants, et gagner son indépendance vis-à-vis d’une société profondément patriarcale. De ce point de vue, on comprend ce qui a pu susciter l’intérêt de John Ford dans les premiers temps du projet. André de Toth, suggéré comme remplacement par le réalisateur, alors engagé sur La Poursuite infernale, semble peiner à se saisir du récit. Ainsi, la première scène introduit-elle pratiquement tous les tenants et aboutissants du récits : personnages à peine entrevus ou bien totalement absents, enjeux personnels, économiques, politiques… La confusion règne, d’autant que cette scène intervient à la fin d’un conflit complexe, que sa principale instigatrice, interprétée par Veronica Lake, détaillera par la suite.
Tout est déjà joué dès le prologue dans Femme de feu : on devine rapidement les haines, les rancœurs, les romances étouffées… Le fatalisme règne en maître et seule Veronica Lake semble préoccupée de contrarier son destin. Héroïne de western ambivalente, son personnage doit beaucoup à la tradition du film noir : vamp et manipulatrice, prompte à jouer de son corps, elle possède également une profonde dimension tragique. Si elle s’émancipe, c’est avant tout de l’univers des codes de genre : dans les thèmes récurrents du western, elle magnifie la tragédie noire.
Par moments, André de Toth parvient à s’approprier ce lyrisme, cette ampleur thématique : ainsi, à la brusquerie d’un duel d’armes à feu, il associe le fatalisme paisible des protagonistes – l’honneur étant en jeu, il vaut plus que la vie, c’est un fait, nul besoin d’en dire plus. On tue beaucoup dans Femme de feu, souvent pour rien, presque par erreur, et sans grandiloquence. Cela donne au réalisateur l’opportunité de la plus belle scène du film, une poursuite dans les montagnes qui rappelle formellement – toujours – le film noir, et à laquelle l’absence de lyrisme donne une majesté triste inattendue.
Pas tout à fait à son aise, André de Toth tâtonne dans Femme de feu : grandement aidé par la photographie majestueuse de Russell Harlan, il parvient à mêler harmonieusement le western et le noir, au fil de magnifiques scènes isolées. Pour autant, la sauce ne prend pas toujours aussi bien, et la complexité des enjeux empêche le film de se développer sereinement.