Sur un canevas très proche de La Flèche brisée de Delmer Daves, La Rivière de nos amours fait partie de cette vague de westerns qui, à partir des années 1950, va s’attacher à donner progressivement aux Indiens un visage humain. Efficacement réalisé par le prolifique mais peu connu André de Toth, le film bénéficie aujourd’hui d’une nouvelle visibilité en ressortant sur les écrans.
Éminent acteur d’Hollywood qui avait déjà collaboré avec les plus grands, Kirk Douglas souhaitait produire son premier long-métrage. En tant qu’homme de gauche (ce qui lui valut quelques soucis avec le maccarthysme) et particulièrement à l’aise dans les performances physiques, c’est finalement sans très grande surprise que l’acteur décida de trouver les financements pour un western (encore très en vogue dans les années 1950) pro-Indien, dans la parfaite continuité du virage idéologique amorcé à Hollywood par Delmer Daves quelques années plus tôt avec La Flèche brisée. D’ailleurs, si seulement cinq années séparent les deux productions, le point de départ est très similaire d’un film à l’autre : un homme blanc, devenu l’ami d’un chef d’une tribu indienne, négocie avec celle-ci le passage du courrier sur leur territoire en instaurant un pacte de non-agression. Dans les deux récits, le dérèglement vient bien évidemment des blancs confits dans leur racisme primaire tandis que les héros succombent aux charmes d’une jeune Indienne de toute beauté.
Le titre français, pas du tout respectueux de l’original The Indian Fighter, peut créer un énorme malentendu sur les attentes que l’on peut avoir vis-à-vis de ce film pas vraiment passé à la postérité. Pourtant, loin de sombrer dans un progressisme lénifiant, le scénario multiplie les pistes troubles, vidant ses enjeux de tout manichéisme moralisateur. Johnny Hawks (Kirk Douglas), s’il est sans aucune ambiguïté l’ami des Indiens, n’est pour autant en rien le décalque de Tom Jeffords (James Stewart) dans La Flèche brisée. Par cette amitié qu’il a sagement su consolider, il ne cherche pas à s’ouvrir aux coutumes de ses pairs et manifeste à plusieurs reprises un intérêt roublard pour la mine d’or dont les Indiens taisent l’emplacement avec une application certaine. Il se comporte même en goujat avec Onahti (la jeune Indienne devenue très belle avec les années), la piégeant à plusieurs reprises pour pouvoir exercer son emprise physique. Pour en rajouter sur la violence des rapports qui règnent au sein (et aux alentours) de cette tribu (avarice, pulsion sexuelle), le réalisateur peut compter sur la flamboyance d’un Technicolor qui rend chaque situation plus crue qu’elle ne le serait réellement. À ce titre, la scène d’ouverture et la baignade en tenue d’Ève d’Onahti est éloquente.
Oublié de l’industrie hollywoodienne, André de Toth, émigré hongrois arrivé aux États-Unis en 1939, paie aujourd’hui sa relative indépendance vis-à-vis des Studios. Pourtant doué, le réalisateur n’a jamais véritablement fait partie d’une écurie et ne s’est jamais vu confier de prestigieux projets qui lui auraient permis de rentrer dans la légende. C’est d’autant plus regrettable que les réalisateurs à vanter son travail ne sont pas rares (avec en premier lieu Scorsese et Tavernier). D’une évidente érudition, André de Toth, qui était par ailleurs peintre et sculpteur, semblait manifester un intérêt évident pour tout ce qui relevait de la pulsion (sexuelle, meurtrière, de destruction), prenant un malin plaisir à voir ces Indiens et ces cow-boys exalter une virilité que la défense d’un territoire/d’un honneur mettait à rude épreuve.