Sous-titré « Que sea Ley » (« que la loi soit »), Femmes d’Argentine de Juan Solanas est un documentaire ouvertement militant sur l’interdiction de l’IVG en Argentine et le combat féministe pour le légaliser. Retraçant la chronologie du débat politique, le film commence à la Chambre des députés, avant de se terminer au Sénat huit mois plus tard, où le texte de loi s’est finalement vu rejeté. Entre-temps, le réalisateur sillonne les routes de son pays pour recueillir, au gré des provinces qu’il traverse (pauvres pour la plupart), le témoignage de femmes qui ont osé avorter ou bien qui ont perdu un proche lors d’une intervention illégale. La démarche de Juan Solanas, qui consiste à documenter le combat féministe en donnant la parole à ses actrices, soulève toutefois une première limite. Tandis qu’à l’écran s’accumulent les témoignages face caméra portant sur la situation des femmes en Argentine, des cartons apparaissent entre les séquences où l’on peut lire le taux d’avortements illégaux pratiqués en Amérique latine. Le film vaut ainsi davantage pour son caractère informatif que cinématographique. Si la démarche semble nécessaire, elle se révèle finalement anodine, étant donné que la singularité de chacune des personnes interrogées ne se dégage jamais de la masse des témoignages, le dispositif les rendant, à terme, tous semblables.
La fin du documentaire, assez surprenante, se révèle par ailleurs révélatrice de l’un de ses plus gros défauts. Après un débat au Sénat et une grande manifestation en faveur de l’avortement à Buenos Aires, le texte est finalement rejeté ; la situation pousse alors les militantes à créer le slogan « Que sea Ley ». Si ce passage se révèle un peu plus intéressant que le reste, c’est qu’il apparaît comme une objection au propos général jusqu’alors énoncé. Il aurait sans doute été préférable que le film commence ainsi, en posant le problème contre lequel les féministes argentines s’élèvent : comment faire entendre une voix discordante et « progressiste » dans un pays où l’Église est encore liée à l’État ? À vouloir uniquement filmer le combat mené par les militantes pro-IVG, Solanas fait abstraction d’une idéologie qui bafoue le droit des femmes à disposer de leur corps. Exception faite d’une manifestation anti-avortement montrée très succinctement au début du documentaire, la voix des opposants reste à la périphérie des tribunes pro-IVG qui, au cœur du débat politique, constitue l’unique intérêt du réalisateur. De la même manière, la forme trop schématique et informative du film ne permet pas d’interroger fondamentalement le problème auquel fait face le féminisme, à savoir le bloc patriarcal derrière les institutions ; un problème qui, par ailleurs, existe à l’échelle internationale. Peut-être aurait-il fallu montrer les visages de ceux qui empêchent les femmes d’avorter légalement pour comprendre la racine du mal et poser le problème tel qu’il persiste ? Un combat est mieux mené quand on connaît les motivations et les faiblesses de son adversaire.