C’est avec un grand coup de klaxon que l’auteur de Bullhead, Michaël R. Roskam revient en Belgique après un séjour à Brooklyn où il avait signé, en 2014, Quand vient la nuit. Le Fidèle tranche immédiatement avec la modestie relative du long-métrage précédent par une cascade d’effets de manche : narration chapitrée, direction artistique de luxe, bolides vrombissants, fusillades spectaculaires, ampleur d’un élan mélodramatique et couple de stars, le tout filmé dans une image numérique rehaussée d’une patine vintage. Difficile alors, dans un style si tapageur, de prendre vraiment au sérieux le coup de foudre de Gino, dit « Gigi » (Matthias Schoenaerts), pour la belle Bénédicte, dit « Bibi » (Adèle Exarchopoulos), et leur relation tumultueuse qui court tout au long du film. Tout les oppose : elle est pilote de course professionnelle, il est un braqueur de banque, elle est une fille à papa, il s’est rapidement coupé de ses parents et a grandi en bande, elle aime le risque et la vitesse, il a peur des chiens à cause d’un traumatisme de l’enfance. Et forcément, malgré ses promesses, Gino ne parvient pas à raccrocher les flingues, laissant Bibi désemparée le jour où le « dernier gros coup » tourne mal. Il aurait fallu un réalisateur orfèvre pour niveler vers le haut cette trame scénaristique dont la subtilité rappelle les plus grands romans de gare ou les films de Claude Lelouch (explicitement cité à la tout fin du film par un plan séquence film au ras du bitume et qui rappelle, sans trop d’effort, le court-métrage C’était un rendez-vous).
Pourtant, on croit d’abord à une petite surprise : dans la première partie, Roskam prend le temps d’imaginer, autour de cette structure scénaristique très voyante, un univers beaucoup plus mouvant en mélangeant allégrement les références au cinéma américain (scènes de braquage musclés, courses-poursuites sur l’autoroute et sport automobile) avec un imaginaire tout droit issu des seventies qui envahit discrètement le contemporain (un papier peint orange aux formes géométriques, des coupes de cheveux et des moustaches si typiques, quelques survêtements criards en nylon). La ringardise de ces accoutrements, la crasse des moteurs et les accents volontairement très prononcés des acteurs donnent au film un caractère plutôt sympathique. Tout ces éléments contrebalancent la pesanteur d’une intrigue romantique vulgaire-chic (voitures de course, coupes de champagne et lunettes de soleil) et inscrivent Le Fidèle dans un grand barnum sentimentalo-parodique presque plaisant.
Pensum viriliste
Cependant, le plaisir s’étiole vite : déjà, la démesure et la violence des deux scènes de braquage – qui interviennent dès le premier chapitre – font grincer des dents par le simplisme (d’une scène à l’autre, les quatre pieds nickelés deviennent des terroristes surarmés) et la complaisance de la mise en scène qui ne cherche que la surenchère spectaculaire (multiplication des plans pour faire monter l’adrénaline, sur-sonorisation des explosions et des coups de feu). Comme s’il n’était finalement intéressé que par ces séquences musclées, Roskam apparaît alors incapable de juguler plus longtemps le scénario par ses afféteries d’ambiance, la suite du film est une fuite en avant toujours plus grotesque et larmoyante : au casse manqué, s’ajoutent la prison, la fausse couche, la maladie incurable. Cet édifice instable, imaginé par Thomas Bidegain et Noé Debré – auteurs des derniers films de Jacques Audiard et qui finissent ainsi de graver la filiation artistique entre le cinéaste de De rouille et d’os et celui du Fidèle – redouble d’hypocrisies et de facilités. La remise en cause violente de la virilité, qui traverse ce courant néo-noir francophone et qui était pris au pied de la lettre dans Bullhead (le héros, déjà joué par Matthias Schoenaerts, était obligé de s’inoculer de la testostérone de taureau pour compenser la perte de ses organes génitaux), est ici ramenée à un simple gadget d’écriture qui ressemble à s’y méprendre à une mauvaise blague de fin de banquet qu’on pourrait résumer ainsi : « c’est la femme qui est pilote de course, c’est elle qui conduit le monde désormais ». Le film s’enfonce alors dans une succession de fantasmes qui confirment ce conditionnement réac (l’apparition soudaine d’une mafia « albanaise », la lutte à mort sordide dans une cage pour chiens dangereux – pour être un homme, un vrai, il faut affronter ses faiblesses). À mesure que Le Fidèle se déroule, tout se dégrade. Il ne reste plus, à la fin, que son odeur faisandée, noyée dans une caricature de complainte masculine.