À travers la rencontre improbable de Walid, écrivain dépressif, et de Jallal, truand à la petite semaine, le deuxième long-métrage de la réalisatrice Maha Haj (Personal Affairs) fait le portrait de la ville de Haïfa, enclave multiculturelle au nord d’Israël dotée d’une importante communauté palestinienne. De cette amitié inattendue découle un embryon de buddy movie délocalisé dans les quartiers interlopes de cette cité balnéaire située au bord de la Méditerranée. Largement fantasmée, la vie de larcins de Jallal suscite la curiosité de Walid, qui y cherche moins la matière de son nouveau roman qu’une manière de redonner du sens à son existence, minée par la solitude et la dépression. Le film met toutefois à distance les stéréotypes d’un monde de la pègre volontiers pittoresque, tout en mines patibulaires et filles faciles, au profit d’une comédie sociale au ton badin. Rabroué par sa famille, Walid est le dindon d’une farce noire concoctée par la cinéaste afin de pointer ses contradictions idéologiques ; le malaise que suscite son statut de citoyen ambivalent, entre moments d’apathie et sursauts patriotiques, est révélateur des tiraillements idéologiques qui affectent la population d’origine palestinienne résidant de l’État hébreux. L’inquiétude existentielle du personnage, quadragénaire à la croisée des chemins, se change alors en parabole sur la schizophrénie d’une communauté partagée entre ses idéaux politiques radicaux et le confort de son train de vie privilégié.
Du spectacle, gentiment pathétique, de cette existence atone découle une paradoxale sympathie pour la médiocrité de Walid. La stratégie narrative du film (Haj a d’ailleurs obtenu cette année le Prix du scénario à Un Certain Regard) revient à renverser la perspective construite pendant la première moitié du film en révélant subitement les véritables intentions de l’homme de lettres à l’égard de son voisin. Le film parvient ainsi à distiller un malaise nourri de déception à l’égard de celui à qui l’on aurait donné le bon Dieu sans confession. Quelques minutes durant, Fièvre méditerranéenne parvient alors à installer une atmosphère lourde, quand se dessine la ligne fragile qui sépare l’honnête homme de l’authentique salaud. Il est toutefois dommage que ce sentiment s’estompe à mesure que le film prend le virage plus attendu du « suspense social », sous l’influence du cinéma de Farhadi, lorsque l’étau du crime se resserre autour du duo : la morale du film l’emporte dès lors sur la singularité des personnages, Jallal devenant simplement l’outil d’une renaissance pour Walid, qui trouve dans la proximité de la mort un goût renouvelé pour la vie. Sous couvert d’un mélange de tragique et de rédemption (le film convoque à cet égard la figure de Tchekhov au détour d’une citation), le dénouement salvateur et prévisible finit de mettre en exergue les limites d’un cinéma irrémédiablement phagocyté par son scénario.