César du meilleur espoir féminin en poche, Hafsia Herzi illumine de sa prestance le premier long métrage de Souad El Bouhati, intitulé, de façon habile mais aussi provocatrice, Française. La surprise est d’autant plus agréable que le thème de l’immigration, traité jusqu’ici de manière redondante, voire épuisé, est astucieusement pris à contre pied pour un résultat atypique.
Sofia est née en France de parents maghrébins. Elle passe une enfance heureuse dans une petite cité de province. Bonne élève, heureuse de vivre, c’est un véritable déchirement pour la fillette lorsqu’elle quitte subitement le béton citadin pour la campagne marocaine. Contrainte à se plier aux exigences de ses parents en mal du pays, elle poursuit sa vie d’adolescente en se réfugiant dans les études, avec comme seul objectif : passer son bac afin de retourner en France à sa majorité. Voici toute la problématique de cette jeune Française d’origine maghrébine.
Un prologue de l’enfance de Sofia se met en place : une cour d’école, une salle de classe, une enfant au teint mat accompagnée de sa meilleure amie blondinette. On craint le pire. Encore un énième long métrage traitant de l’immigration, de la discrimination ou encore des difficultés d’intégration, à la manière de L’Instit, trop manichéenne pour être vraie. L’affiche du film se rappelle à nous et n’évoque rien de bien différent. Et pourtant ! Quelle satisfaction de découvrir progressivement que, pour traiter de la crise identitaire, Souad El Bouhati a su prendre le sujet généreusement, à l’opposé de ce qui se fait habituellement sur le sujet. La France, ici, ne passe pas obligatoirement pour une terre trop difficile à intégrer, où il ne fait pas bon vivre pour un immigré ou enfant d’immigré. Car Sofia est avant tout Française : en l’arrachant à son enfance française, elle fera de ce pays violemment quitté un fantasme, proche de l’idéal. Ce sera son El Dorado, sa quête personnelle, désapprouvée par l’ensemble de son entourage.
Souad El Bouhati transmet à travers ce film une volonté d’échapper aux stéréotypes de la femme orientale. L’indépendance des femmes marocaines passe souvent pour un idéal impossible. Les parents de Sofia vont même jusqu’à cacher son passeport et refusent de le lui rendre, et pourtant elle refuse les conventions. Elle fait des études, elle a un copain, des rêves d’évasion et de libre arbitre. L’enjeu de Française est là. Bien plus que d’opter pour un pays à la défaveur d’un autre, il s’agit avant tout d’être libre de choisir ; un choix judicieux et non biaisé par un simple entêtement d’esprit de contradiction.
Sans grands effets de mise en scène, le film de Souad El Bouhati n’a pas l’objectif de « faire cinéma » mais plutôt de mettre l’accent sur une certaine limpidité de récit. La réalisation reste donc sobre sans pour autant perdre son coté très appliqué par des cadrages et une dynamique particulièrement significative, voire scolaire : caméra en mouvement pour décrire les moments d’étouffement de Sofia, accentués par un montage de plans courts et saccadés, nombreuses plongées dévoilant une jeune fille regardant vers le haut, rêvant d’avenir lointain, de maîtrise de sa destinée. La direction d’acteurs passerait presque inaperçue tant le naturel des personnages crève l’écran. Sur les exigences de Souad El Bouhati, Hafsia Herzi a perdu son accent marseillais de l’étonnant La Graine et le mulet pour une verve plus douce et apaisée, malgré toute la fougue et la rage retenues. Voici pour son personnage, en lui espérant autant de persévérance et d’énergie pour honorer le césar bien mérité de février dernier du meilleur espoir féminin.