Contrairement au préjugé, le titre du troisième long-métrage d’Antony Cordier (Douches froides, Happy Few) n’a pas valeur de programme : le mariage prévu — qui n’est pas celui de Gaspard — n’est qu’un prétexte pour ramener celui-ci auprès de sa famille un peu particulière dont il s’était éloigné pendant des années, pour des raisons pas toutes avouables qui nous seront bientôt révélées. Rien de très inquiétant, car Gaspard va au mariage s’avance lui-même comme une comédie un peu particulière, qui entend parler avec la plus grande décontraction de choses sérieuses — comme les ambiguïtés et la contrainte de l’attachement familial, ou le rapport à notre corps et à notre part animale — et faire jouer de concert la catharsis par le rire et par le drame. Ainsi, chaque scène va apporter sa petite trouvaille, son gag, son échange verbal, pour créer de la comédie tout en laissant entendre que quelque chose de sérieux se joue derrière. Or, à mesure que le film nous balade de surprise en gag, de bizarrerie en loufoquerie, se faisant fort de nous sortir de notre zone de confort avec le sourire, les spectateurs les moins enclins à offrir leur bienveillance au premier soupçon de nouveauté venu (le film collecte déjà ses salutations comme un « OVNI » dans le paysage du cinéma français) se verront peut-être gagnés par un certain malaise. Et ce ne sera pas dû à quelque pruderie face à l’exhibition des corps nus ou à la révélation du petit secret scabreux qui va hanter tout le film. La vraie raison est que, pour ceux qui auront senti dès le début que quelque chose dans cette démarche ne fonctionne pas, la suite ne fera que prolonger ce malentendu.
Humour en cage
Le cadre qui tient lieu d’univers au film — un zoo tenu par la famille de Gaspard — est d’emblée symptomatique du problème. Pourquoi un zoo ? Au bout de quelques minutes, on a fait le tour de la question : le parc est un décor, mais aussi un accessoire pour le jeu d’équilibriste de Cordier entre légèreté et gravité. Conformément à l’imaginaire collectif, le lieu renvoie à un certain émerveillement d’enfant, cependant le réalisateur, étonnamment, semble rechigner à transmettre ce sentiment, même quand il filme Gaspard déambulant entre les cages et tâchant de renouer avec son regard d’autrefois. Les animaux, il ne les filme guère que comme des accessoires : leur entretien par les personnages donne lieu à des saillies comiques assez vaseuses (telles qu’une vanne qualifiant l’insémination artificielle de fist-fucking), et d’une manière générale les bêtes ne sont là que pour meubler le décor et fournir une illustration d’arrière-plan au thème articulé tout au long du métrage (le rapport de l’humain au corps et à l’animal). Mais si cette limite est aussi pénible à éprouver, c’est surtout à cause de l’absence d’un regard capable de faire exister cet endroit autrement que comme un arrière-plan opportun. Cordier escompte que parce que c’est un zoo, cela induise une forme de merveilleux animalier, enfantin, un peu désuet (c’est que conclut le père à la fin du film), tout en étant l’indice de la thématique qu’il prétend sous-jacente mais ne cesse de placarder un peu partout (le père se baigne nu dans un aquarium avec les poissons qui lui mordillent la peau, la sœur ne quitte jamais la peau d’ours sur son dos et rumine un désir peu conventionnel mais qui la rend sauvage, etc.). Cependant il ne filme ce lieu que comme l’objet lui permettant de prétendre à ce registre mi-drôle régressif mi-sérieux transgressif, sans que rien dans sa mise en scène indique qu’il s’y intéresserait d’une façon plus concernée, autrement que comme une source de vignettes animalières rigolotes et un fil rouge roublard pour le discours qu’il se donne.
Catalogue d’inventions
Si ce texte s’est attardé sur le lieu, c’est parce que c’est le point d’entrée au constat qu’à peu près tout ce qui figure dans Gaspard va au mariage est traité de la même façon. Le film consiste en une enfilade de détails excentriques censés à la fois détendre l’atmosphère et porter du sens : le père hanté par la peur d’aller de l’avant, la mère cool mas pas trop, la sœur animale et fantasque, la fausse petite amie un brin individualiste que Gaspard amène avec lui pour se protéger intimement, les flash-backs granuleux sur les inventions farfelues de Gaspard enfant (il était si intelligent quand il était petit…), la musique électronique de Thylacine, etc. Soit un défilé de trouvailles (au sens d’objets trouvés et exposés) plus ou moins inspirées, mais dont l’assemblage n’est qu’artificiel, n’existe que parce que le film l’exige, sans jamais constituer une cohérence où l’on lirait un aperçu crédible du monde par le prisme d’un regard de cinéaste. Il ne s’en dégage qu’une originalité montée de toutes pièces, au point que Gaspard va au mariage finit par n’avoir pour motif que l’exposition de cette originalité, l’assurance de se démarquer de ses semblables (soit du tout-venant de la comédie dramatique française), où même le rapport au monde n’est que fabriqué dans ce dessein, où les gestes de décontraction et d’esprit libre ne sont que des postures plaquées sur une construction de scénaristes bien dirigée. Il y a dans une telle entreprise un manque terrible de sincérité qui rend la visite de ce zoo des plus pénibles.