Alors que les films américains soutenus depuis deux ans par la Quinzaine des Cinéastes partagent tous un certain goût de la marge, Good One (qui faisait partie de la sélection cette année aux côtés d’Eephus et de Noël à Miller’s Point) se démarque d’abord par une esthétique ouvertement lisse et émaillée de quelques scories du teen movie indépendant. Dans les premières scènes, une petite mélodie à la guitare enjolive des plans de paysage impersonnels et des situations stéréotypées, comme l’inévitable discussion entre deux copines avachies côte à côte sur un lit, par laquelle on rencontre Sam (Lily Colias), la protagoniste principale. Elle accompagne ensuite son père et Matt, un ami de ce dernier, pour un week-end en randonnée. Dans la voiture, sa timidité – là encore, assez attendue – l’empêche de s’affirmer face aux deux adultes. Elle traîne son spleen à l’arrière du véhicule, les yeux rivés vers la fenêtre, écoutant de loin les discussions d’un père absent mais doux, et d’un faux oncle bedonnant et (trop) gentiment pathétique. Au sein de cette entame balisée, Lily Colias tire pourtant son épingle du jeu, par sa nonchalance un peu étrange et sa présence discrète.
Si la mise en scène est parfois volontariste lorsqu’elle souligne le décalage entre l’adolescente et les adultes (notamment par l’usage marqué de la demi-bonnette, comme dans un thriller de Brian De Palma), elle se révèle progressivement plus fine, épousant l’effacement de Sam. Cette dernière se fond plus d’une fois dans le décor, ses vêtements ayant souvent les mêmes teintes que celles du papier peint des pièces qu’elle visite (sa chambre, les toilettes d’un refuge, etc.). India Donaldson, dont c’est le premier long-métrage, travaillait dans le textile avant de faire du cinéma, ce dont elle semble avoir gardé un sens du détail évocateur. Par exemple, Matt n’a emporté que des jeans totalement inadaptés à la marche, et doit les déchirer en short pour pouvoir continuer, ce qui souligne bien sa bizarrerie d’abord charmante, puis plus inquiétante. Cette précision s’exprime de plus en plus au fil de la marche, la forme du film échappant à sa joliesse initiale pour laisser place à une esthétique plus composée, voire radicale. Les cadres s’élargissent en même temps que les plans s’étirent dans la durée, à mesure que Sam laisse durer ses silences, se fait observatrice d’une violence sourde qui s’immisce dans la marche. Le temps que la cinéaste prend à filmer cette jeune femme est celui que son père ne prend pas à la regarder, comme le souligne une simple et belle réplique prononcée au bord d’une rivière. Alors qu’il lui demande si elle est excitée d’entrer à la fac, elle lui répond, à juste titre d’ailleurs (ce qu’on réalise en même temps que lui) : « C’est la première question que tu me poses du week-end. »
C’est surtout autour d’un feu que le récit bascule pour de bon dans une tonalité plus grave, au détour d’une scène rejouant et amplifiant la dynamique générale du film. Les trois personnages rient doucement autour du brasier, avant que le père, pris de sommeil, s’éclipse et laisse Sam en tête à tête avec son vieil ami. Leurs échanges sont d’abord teintés d’une mélancolie un peu attendue, puis les silences laissent place à un malaise naissant, brutalement confirmé par une réplique glaçante de Matt, qu’on ne dévoilera pas. Ces mots, et la stupeur qui s’ensuit, redéfinissent notre regard sur tout ce qu’on a vu jusqu’ici, en particulier la bonhommie trop aimable de ce personnage. Il fallait sans doute passer par cette douceur trompeuse pour mieux y déceler la dureté qu’elle cachait, et s’en affranchir aux côtés de cette singulière héroïne.