Quand Tetsuko Arisugawa, 14 ans, fraîchement arrivée en ville avec sa mère divorcée, découvre son nouveau collège, on la met vite au parfum en guise de bizutage : là où elle s’assied en classe, un autre élève, nommé « Judas », aurait été assassiné un an auparavant dans des circonstances très floues, et son esprit hanterait encore les lieux. Un peu trop farouche pour s’intégrer parmi ses nouveaux camarades, « Arisu » (diminutif qui est aussi la prononciation japonaise d’ « Alice ») décide de mener son enquête dans son coin ; elle reçoit néanmoins le concours de Hana, sa voisine futée mais recluse qui n’est pas sans rapport avec l’affaire. C’est ainsi qu’une intrigue tarabiscotée de jeunes détectives, sur une enquête reposant moins sur des faits que sur une fantaisie à clés, tente de récrire les jeux de l’adolescence et le sérieux qui y est crypté — soit de tracer, sur un ton aussi ludique que délicat, le portrait d’un âge pas encore mature mais déjà voilé de regrets, et désireux de sortir du cocon. D’où une certaine atmosphère, avec laquelle une mise en images sophistiquée tente de s’accorder.
Shunji Iwai a du métier dans la chronique stylisée de l’adolescence, raison principale pour laquelle, depuis vingt-cinq ans qu’il filme, il s’est fait remarquer dans son Japon natal et au-delà. Hana et Alice mènent l’enquête est d’ailleurs un prequel pour un de ses films antérieurs, Hana et Alice (2004). Et pourtant, ce nouveau film est le premier de sa filmographie à atteindre les écrans français. Sans doute doit-il cette considération au fait qu’Iwai livre là son premier long-métrage d’animation, catégorie dont la production japonaise est populaire en France. Plus précisément, il s’agit ici d’animation par rotoscopie : les scènes ont d’abord été tournées en prises de vues réelles (avec les actrices principales de Hana et Alice), avant que les animateurs ne les reproduisent image par image (les voix étant conservées), ce qui donne au film les moyens d’une certaine licence esthétique.
Touches de jeune
La principale plus-value esthétique apportée par Iwai via cette technique, c’est l’envoûtante bichromie de bleu et de rose qui fait office de lumière et d’ombre dans les arrière-plans. Les rencontres entre les deux couleurs ne s’y font pas par juxtapositions sur des lignes tranchées comme dans un clair-obscur, mais par surimpression, en bavures ou en effluves. Ainsi le cinéaste dessine-t-il avec tact une atmosphère vaporeuse, indécise, où les ombres n’en sont pas vraiment et où la lumière est voilée, comme en un long crépuscule, à l’image du flottement entre enfance et maturité qu’il vise à décrire. Mais la séduction du procédé n’empêche pas de penser, par moments, que cet adoucissement pourrait être aussi une manière de dissimuler, que l’usage même de l’animation pourrait être un moyen d’enjoliver une approche de cinéaste qui n’est pas sans laisser perplexe par moments. On pense à ces quelques tics de réalisation qui sauteraient plus encore aux yeux si le film était resté en prises de vues réelles : caméra penchée à 90 degrés, perspective outrée sur une balançoire avec Alice au premier plan et un vieillard en arrière-plan, ralentis pesants…
Ces quelques plans « à effets » clament une volonté de sens, de faire corps avec les mouvements juvéniles des personnages, mais ils ne servent qu’à leur donner quelques accents criards. On objectera qu’ils ne sont pas si nombreux ; néanmoins, ils signalent que toute la démarche d’Iwai revient à illustrer, plus qu’à faire découvrir, un certain état d’entre-deux de l’adolescence. Illustration, donc, parfois un peu lourde malgré ses intuitions picturales, au point de faire de l’ombre à ce qu’elle déclare exprimer, d’autant plus qu’elle s’appuie sur une intrigue dont la sophistication peine à faire passer son goût d’artificiel : cette histoire de meurtre sans doute imaginaire, dissimulant un tout autre drame révélé à pas comptés par le scénario, établit à l’arrivée une fantaisie assez verrouillée et étriquée. L’ensemble suggère surtout que le quinquagénaire Iwai cherche à aligner la forme de son film sur une hypothétique fraîcheur juvénile, à se construire par ces effets de signature une proximité avec la jeunesse parfois impertinente de ses personnages. Il n’est pas sûr que cet effort-là soit très convaincant.