Mais pourquoi Hannibal le Cannibale est-il aussi méchant ? Parce que… parce qu’à défaut d’un bon scénario disponible, deux amis producteurs, malheureux de voir notre imagination restée sur sa faim, ont préféré combler notre appétit de voyeurs cinématographiques par un thriller ni fait, ni à faire qui donne envie de transposer la tradition du sacrifice humain au milieu d’Hollywood.
Bien que les traits du visage de Gaspard Ulliel sachent rendre la montée de l’appât du mal pour le mal, lorsque Gong Li l’interroge sur sa monstruosité, le spectateur déjà passablement énervé à ce stade du film y voit une profonde interrogation esthétique : que reste-il encore à aimer de ce quasi-mythe cinématographique? L’Origine du mal est le second massacre né de la veine d’un romancier prolixe en phase avec l’engouement du public pour le cerveau démoniaque toujours en activité à la fin du Silence des agneaux. Troisième scénario reprenant le personnage d’Hannibal Lecter, c’est un film de commande, fruit de scénaristes et de producteurs tacherons qui n’ont rien compris à l’éclat du premier film qui a revivifié un véritable genre, celui du thriller, dans lequel se sont engouffrés par la suite Seven et les autres. La comparaison est d’autant plus irrépressible qu’au mépris de toute convention réaliste, le film singe la séquence du scalpel humain et tente de nous expliquer l’origine du masque qu’Hannibal portera plus de trente ans plus tard dans sa cellule… À défaut de résoudre l’énigme humaine du célèbre personnage de psychanalyste américain, on préfère nous imposer un enchaînement de tortures et surtout une multiplication débordante de sévices à l’écran, quitte à insister en image sur l’horreur évidente en oubliant que dans le premier film la plupart des forfaits d’Hannibal étaient restés hors champ.
L’adoption d’un point de vue surplombant permet de nous rendre témoin des mises à mort successives. Si de la manipulation des points de vue naissait la terreur (dans les scènes du Silence des agneaux les plus efficaces, où Hannibal utilisait la chair d’un autre homme pour s’enfuir et quand le montage pouvait nous faire prendre l’ouverture d’une porte pour une autre…), ici l’overdose d’horreur privilégie la captation aux forces de l’imagination ou au travail de montage. Symptomatiquement, dans l’une des dernières séquences, le réalisateur filme un cadavre de plus au lieu d’accompagner l’entrée de notre héros maléfique sur la scène du drame. Du coup, la révélation finale qui suit, comble de l’horreur pour lui, n’est qu’un prévisible retournement scénaristique de plus au milieu du déluge d’atrocité sanguinaire perpétré par une sorte de mafia de l’est contemporaine ! Expliquer L’Origine du mal par Hiroshima et des mercenaires fricotant avec les SS, c’est réduire le mythe du serial-killer cinématographique à une logique de souffrance endurée et perpétrée. Est-ce si simple ?