On voudrait pouvoir aimer Harcelés, tant son sujet, aussi délicat qu’important, mérite d’être porté à l’écran. Les scénaristes David Loughery et Howard Korder ont choisi d’enfoncer une porte pas si ouverte que cela, en montrant que le racisme est une gangrène qui ronge sans distinction de couleurs toutes les communautés ethniques. On voudrait pouvoir aimer Harcelés, et pourtant…
Quand Chris et Lisa Mattson (Patrick Wilson et Kerry Washington) s’installent dans un beau quartier de banlieue californienne, le jeune couple mixte sait qu’il s’engage dans un projet risqué : celui de devenir propriétaires en pleine crise des subprimes ! Les jeunes mariés ignorent pourtant les réflexions familiales pour vivre pleinement leur version très traditionnelle du rêve américain. Les deux tourtereaux n’imaginent pas que leur petit monde idéal puisse être corrompu par la présence d’Abel Turner (Samuel L. Jackson), un voisin suspicieux et intrusif. Veuf, élevant seul ses deux enfants avec rigueur et fermeté, cet agent de la LAPD porte fièrement l’étendard de la communauté afro-américaine et ne peut supporter la vision d’un homme blanc avec une femme noire, qui plus est lorsque ceux-ci étalent aussi librement leur amour. Ce flic intransigeant va se charger de mettre l’ordre dans le quartier, pour le bien-être de sa famille, comme pour l’honneur de sa communauté.
De Naissance d’une nation (D.W. Griffith, 1915) à Jungle Fever (Spike Lee, 1991), en passant par Devine qui vient diner ? (Stanley Kramer, 1967), le thème de la miscegenation (métissage, union interethnique) hante le cinéma US, témoignage d’une crainte latente de la société américaine. Le film de Neil LaBute propose une réflexion a priori intéressante sur ce sujet topique, dans un récit où le rejet du métissage ne naît pas – comme c’est souvent le cas – d’une communauté WASP conservatrice, mais au contraire d’un personnage noir, incarnant qui plus est la loi et l’ordre. Si cet échange des rôles semble sortir le récit d’une trame conventionnelle, son originalité s’arrête malheureusement à ce seul ressort scénaristique.
Le principal défaut d’Harcelés réside dans son échec à faire fonctionner un système d’identification bancal. Le spectateur est censé blâmer le flic noir pour son attitude communautaire et s’offusquer qu’une victime potentielle du racisme puisse si facilement devenir bourreau. Il doit dans le même temps s’inquiéter pour un jeune couple mixte bien propre sur lui, qui veut seulement vivre en paix dans sa belle maison cossue. C’est d’ailleurs pour cela que les Mattson s’ébattent sans retenue dans leur piscine, ignorant le risque d’être vus, que Chris jette ses mégots dans le frontyard d’Abel, qu’il fait crier son autoradio sans se soucier de la tranquillité ambiante, ou que Lisa va chercher le courrier vêtue d’une robe de chambre satinée ultra courte ! On serait tenter de comprendre l’inquiétude du fonctionnaire de police pour ses enfants, face au tableau d’une middle class moderne si certaine de son impunité…
Lisa Mattson, présentée comme une desperate housewife version femme-enfant, est obsédée par la seule idée de construire une famille à présent qu’elle est propriétaire. On pourrait se laisser attendrir par cette silhouette fragile, cloîtrée dans un intérieur chic, au bout d’une rue sans issue, paralysée dans un environnement d’autant plus claustrophobique que les flammes d’un incendie se rapprochent peu à peu. Pourtant, savoir cette femme unie à un homme aussi insipide que Chris Mattson ne nous permet pas de la prendre en pitié. Ancien étudiant membre d’une fraternité (d’après les initiales tatouées sur son biceps), Chris est vite réduit à l’image du bourrin sans cervelle, qui n’a dû son entrée dans une grande université qu’à ses capacités sportives. Jeune cadre dynamique, en proie à une crise d’adolescence tardive, il cache à sa femme son addiction au tabac et écoute de la musique rap à tue-tête. Face à ce pathétique personnage de blanc-bec, on est tenté de penser, comme Abel, que la belle Lisa perd son temps avec Chris. Et si le spectateur penche du côté du « grand méchant loup », le film ne fonctionne plus !
Les scénaristes se sont de plus sentis obligés de trouver un mobile à l’animosité d’Abel Turner, en l’affublant d’une défunte épouse infidèle, morte dans un accident de voiture aux côtés de son amant blanc. Au vu de ces éléments, l’attitude du veuf envers les Mattson peut être interprétée comme une pathologie de transfert, le jeune couple représentant pour le flic humilié l’image des deux traîtres décédés. Mais pourquoi se couper ainsi l’herbe sous le pied ? Pourquoi vouloir trouver des excuses au personnage et empêcher ainsi la démonstration de la mécanique raciste ? Ajoutez à cela une réalisation simple et sans surprise. Le chaos visuel du paysage californien, embrasé par les flammes d’un incendie galopant, apparaît comme l’écho du délabrement progressif des relations de voisinage et contribue bien à la tension croissante du film. Mais la progression dramatique d’Harcelés souffre d’une torpeur certaine, la succession d’événements toujours prévisibles étant plombée par une musique lancinante, plus agaçante qu’angoissante.
Reconnaissons à Samuel L. Jasckson le talent de proposer une composition d’une grande justesse, construisant un Abel Turner ambivalent, toujours dans la maîtrise, suffisamment mesuré pour ne jamais paraître caricatural. Le numéro d’acteur est plaisant, mais ne suffit pas à faire un film. Si l’intérêt du sujet choisi est incontestable, on eût préféré un traitement plus fin, subtil et rythmé. Le résultat, trop doucereux et attendu, constitue un essai méritant mais malheureusement raté. Au cinéma, les bonnes intentions ne suffisent pas.