Adaptation approuvée par son auteur d’un roman jet-set à succès, Hell perd hélas beaucoup de sa substance avec le passage au grand écran, à commencer par le ton provocateur de sa narration. Comédie de mœurs adolescentes, le film ne reste finalement pas grand-chose de plus qu’une version moderne de La Boum, à peine un peu plus démonstrative.
Ella est une jolie jeune fille dont les parents écoutent France Gall mais pas de jazz. Conséquemment, alors qu’elle se posait ses premières questions d’adolescente angoissée, la réponse s’est imposée d’elle-même : ces deux ringards de parents l’avaient nommée depuis une chanson cheap des années 80, et pas par respect pour une diva du jazz. Et donc, elle leur en veut. Énormément. Au reste du monde, aussi. Bref, Ella nous fait sa crise d’adolescence. Et histoire de combler tout un tas de manques, qu’elle ressent sans doute sans pouvoir les nommer, elle s’adonne aussi, ô horreur, ô opprobre, ô désolation!, au sexe, à la drogue et aussi, mais trop peu, au rock’n’roll. Tout cela dure jusqu’à ce qu’elle rencontre le beau Andréa, le premier garçon avec lequel elle passera plus d’une nuit au lit.
On peut s’en rendre compte : une histoire d’amour se profile, de celles dont on fait les Grandes Histoires. Shakespeare eût-il douté de son inspiration pour Roméo et Juliette que ce film lui donne un canevas tout fait : quelques rimes et nous voilà avec une romance grandiose, tragique, flamboyante. Et puis, histoire de faire moderne et suffisamment bobo, situons le tout dans la jet-set de la ville-lumière.
Film arrogant et suffisant, Hell se pare des oripeaux de la décadence de la jeunesse occidentale pour décrire une faune prétendument choquante. Mais hélas, il faut se rappeler que la décadence n’est rien, sans grandeur. Or, de grandeur, ici : point. Entre un jeu d’acteur à la limite de la caricature par moment, une mise en scène d’une oppressante linéarité et un symbolisme benêt, le film tourne bien vite à la démonstration de bonnes intentions policées.
Ella se surnomme « Hell » – quand je vous parlais de symboles lourds et spécieux – sans doute parce que ça fait très « in » dans les soirées. La jeune fille affecte un nihilisme bon ton qui désespère maman et papa et permet quelques mots d’esprit dignes des cours de récréation, mais ce nihilisme s’avère ne cacher qu’un vide complet. Vide partagé, et c’est donc le secret de leur entente, par Andréa, qui livre au long du film un remarquable catalogue d’expressions atones. Tous deux voguent sur la ligne entendue et tracée d’avance d’une relation sur le modèle conquête-félicité-déchéance – chaos avec une constance remarquable, Sara Forestier frisant parfois le jeu le plus mauvais, Nicolas Duvauchelle semblant s’ennuyer ferme dans le rôle du bel homme gravure de mode chez Gucci© (qui semble-t-il sponsorise le film). S’il serait très injuste de réduire le jeu des acteurs à quelques faux pas, l’ensemble de leur prestation déçoit malgré tout.
Une mise en scène pleine de faux raccords, exempte de la plus élémentaire spontanéité, et d’une platitude incroyable achève de desservir le film. Là où le film voudrait se vautrer dans une vénéneuse décadence, ne reste qu’un catalogue de scènes sorties de « Paris Dernière » : n’est pas La Dolce Vita qui veut (malgré une citation éhontée). Tout le film semble tourner autour de la dualité entre ces êtres vides de toute substance et un apprentissage doucereux et corrompu de la passion. Hélas, la passion est le plus souvent éteinte dans les yeux des acteurs, et là où elle devrait flamber, ne réside que l’ennui. Et quand bien même ce serait volontaire, l’audace est par trop absente de la mise en scène pour servir un propos qui se serait voulu ambigu…
Provocateur à la petite semaine, nanti d’un scénario assurant le minimum vital du frisson gentiment pornographique pour emmener une personne au cinéma manger du pop-corn, Hell clame haut et fort – et bien malgré lui – que Fellini avait tout dit, et que tout ceux qui veulent le plagier, sciemment ou non, ne sont que des amateurs gauches.