Hemel (Grand Prix du jury au dernier Festival du Film de Femmes), que l’on pourrait traduire par «paradis» ou «ciel» en néerlandais, est aussi le prénom de la jeune femme dont nous allons suivre les pérégrinations. Car Hemel expérimente un mode de vie particulier : elle n’a que peu de scrupules à multiplier les partenaires sexuels, elle est parfaitement décomplexée sur le sujet, joueuse mais pas tendre. Le premier plan du film rappelle distinctement le Shame de Steve McQueen : Hemel, au réveil, est allongée et regarde autour d’elle, comme apaisée. Mais plutôt que de nous rejouer la comédie ronronnante de la culpabilité comme le faisait le réalisateur anglais, Sacha Polak choisit de nous conter une tranche de vie qui va peu à peu gagner en cohérence.
Une structure à épisodes
Car le film est divisé en épisodes, qui semblent à première vue n’avoir que peu de rapports entre eux, si ce n’est Hemel et une certaine tendance à vouloir traiter de sujets en rapport avec le sexe, de manière plus ou moins décalée : discussion sur l’hygiène, inversion des clichés sur l’homme et la femme, conversation avec une demoiselle encore vierge, comportements séducteurs, pratiques sexuelles. Le film s’amuse alors de la nature même de son sujet, tout en étant empreint de l’humeur provocatrice de son personnage principal. La mise en scène dynamique de ces épisodes, entre jump cut et plans-séquences, colle parfaitement au caractère mutin du personnage.
Mais quelque chose nous met vite la puce à l’oreille : ponctuellement, une ambiance semblable à celle d’un cocon ouaté, quelques flous artistiques et une musique cafardeuse nous laissent entrevoir que l’insouciance du personnage n’est qu’une façade. Le film semble partir sur une pente dangereuse d’autant plus que le récit, jusque-là d’une réjouissante liberté, commence à baliser son parcours. Hemel a un père, avec qui elle entretient une relation fusionnelle. La narration prend alors un tour psychologisant, où l’on apprend qu’Hemel n’a jamais connu sa mère, que le fait de donner si peu d’elle-même aux autres est source d’ennuis personnels, où l’on comprend qu’elle se verrait mieux dans une relation sérieuse avec un homme de l’âge de son père.
La relation au père
Et pourtant, la véritable réussite du film tient dans la dextérité avec laquelle cette mue opère, pour ne pas rester au stade du récit anecdotique, et gagner une cohérence qui vient rassembler les éléments épars du scénario. La relation d’Hemel à son père est décrite avec une belle finesse, entre non-dits et moments heureux, qui traduisent une étrangeté (le rapport sexué au père) et une souffrance sourde (l’impossibilité de pouvoir le posséder entièrement) qui questionnent la nature même de l’affection au sein du lien paternel. Par la force de l’incarnation et de la direction d’acteurs, Sacha Polak réussit à se sortir des lieux communs et à insuffler une véritable puissance émotionnelle au parcours de cette jeune femme qui se cherche. Sur un terrain aussi casse-gueule, on en connaît certains qui ont fait beaucoup moins bien.