Tout juste auréolé de l’Oscar du meilleur scénario original, Her de Spike Jonze arrive sur nos écrans précédé d’une réputation bâtie sur l’originalité du pitch (un quadra solitaire au cœur brisé tombe amoureux de son ordinateur) et d’un casting quatre étoiles où figurent Joaquin Phoenix, Rooney Mara, Amy Adams, et Scarlett Johansson dans le rôle de l’opérateur informatique à la voix sensuelle et entêtante.
C’est pourtant lors de la mise en place du film, préalable à l’irruption de Samantha, l’amante robotique de Theodore (Phoenix), que Her laisse entrevoir ses plus belles promesses. Spike Jonze expose dans son incipit un monde moderne où les interactions entre les êtres sont paradoxalement dénaturées (chacun, de façon quasi-autiste, parle de son côté à son smartphone) par une abondance de dispositifs de communication. Dès les premières minutes, le film dévoile ainsi une entreprise spécialisée dans la rédaction de « belles lettres manuscrites » composées sur commande, sorte de service high-tech et personnalisé prenant en charge l’expression affective d’une multitude d’individus.
Ce qui pourrait être une vision assez misanthrope d’une époque où le virtuel (jeux vidéo, fausses lettres, fausses relations) domine laisse entrevoir au contraire le portrait doux-amer d’un personnage solitaire brisé par les aléas d’une relation amoureuse tumultueuse. La solitude comme sujet est certes redoublée par le caractère dystopique du scénario, mais une émotion assez pure, simple, humaine, prime dans l’écriture de ce préambule. Hélas, comme souvent chez Spike Jonze, le pitch est roi, et le récit finit par ne devenir que l’extension d’un concept choc et clinquant : Boy meets Computer.
Romance tétraplégique
Au-delà de l’obsession d’un scénario dévolu à valider son étiquette d’idée originale, le véritable problème de Her tient dans le handicap formel qui le paralyse, comparable à celui de l’héroïne, voix sans corps, amante sans visage. Si les intentions de Jonze séduisent, le cinéaste peine constamment à leur donner forme, substituant à une mise en scène du langage (au fond, Her n’est qu’une suite de conversations) et de cadrages (le visage de Phoenix occupe la majeure partie des plans) une série de vignettes publicitaires où le penchant clip-arty de Jonze, arrosé de balades folk et de plages musicales signées Arcade Fire, fait office de signature stylistique.
Her est un film désincarné non pas parce que l’amour de Theodore est abstrait – belle hypothèse posée par le film, hélas non suivie, que de tomber amoureux de l’idée même d’être amoureux – mais parce qu’il échoue à trouver le vaisseau susceptible de porter son propos. Sans enveloppe, le film ne se résume qu’à une triste succession de tirades plus convenues qu’émouvantes sur l’acte d’aimer. Sacrée déception.