Jacques-Olivier Molon, spécialiste des effets de maquillage, et Pierre-Olivier Thévenin, spécialiste des effets spéciaux, réalisent leur premier film, un thriller d’aventure empreint de surnaturel. C’est avec un regard innocent et naïf qu’il faut regarder ce survival sylvestre dont l’intrigue, certes surprenante, est entachée d’un certain ridicule.
Le professeur Schneider, anthropologue farfelu, parvient à convaincre son fils et disciple, Thomas (Lorànt Deutsch) et sa thésarde préférée, Nadia (Sara Forestier), de l’accompagner dans le Lötschental, au cœur des Alpes suisses, sans leur préciser réellement l’objectif de ce voyage de recherche. Pour resserrer les liens de sa famille recomposée, Gildas (Dominique Pinon) emmène sa nouvelle compagne (Élise Otzenberger) et sa fille adolescente (Manon Tournier) faire de la randonnée dans cette Suisse profonde. Suite à une panne de voiture, la famille est prise en stop par le trio de chercheurs. Mais, sur une route de montagne étroite et sinueuse, Thomas perd le contrôle du véhicule et toute l’équipée est précipitée dans le vide. Cet événement ne sera que la première étape d’un parcours chaotique, pour des aventuriers novices traqués par d’étranges individus dans un environnement semé d’embûches.
Le premier quart d’heure du film oblige le spectateur au scepticisme. Il est difficile d’adhérer aux personnages de Sara Forestier et Lorànt Deutsch, dans le rôle de jeunes anthropologues, du fait de leur parcours cinématographique antérieur. La lenteur du montage n’aide pas à l’introduction des différents protagonistes, dont la présentation maladroite n’évite pas les clichés. Ajoutez à cela une atmosphère sonore pesante, avant même que tout danger ne soit palpable. Le film trouve son rythme et les relations entre les personnages deviennent plus naturelles, à partir du moment où la petite troupe se retrouve littéralement au fond du gouffre, suite à cet accident dont la violence ne laisserait pas imaginer une possible survie. Mais le film applique les règles du genre : les personnages, dont la vraie personnalité va alors se trouver révélée, doivent se retrouver totalement démunis pour affronter la sauvagerie de la nature et la férocité d’hommes peu ordinaires.
L’idée centrale du film est étrange et étonnante : les hommes de Neandertal n’ont jamais disparu et sont protégés par quelques illuminés de la campagne suisse (la promotion du film le révèle…). Imaginer une investigation aventurière sur une découverte scientifique pouvant remettre en question toute la filiation de l’espèce humaine constitue un pari ambitieux… sur un terrain bien glissant ! Mais, paradoxalement, c’est le caractère excessif de l’idée qui permet bon an mal an de se laisser emporter par cette histoire. D’une scène à l’autre, on se demande jusqu’où scénaristes et réalisateurs auront été capables d’aller et comment tout cela pourra bien finir. Une fois la découverte scientifique et historique attestée à l’écran, le film vire au slasher. Et c’est non sans délectation que nous suivons la traque des protagonistes, dont la survie paraît de plus en plus utopique. Dans la tradition classique du film fantastique, le film « réfléchit » aussi à la question de la monstruosité, annoncée par le titre Humains. De façon convenue, le film affiche l’apparence disgracieuse et rustre des hommes de Neandertal, pour mieux dévoiler la violence, l’amoralité et la folie de ceux qui les maintiennent en vie. Les monstres ne sont évidemment pas ceux que l’on croit…
La triste aventure des randonneurs d’Humains n’est pas sans rappeler celle des apprentis aventuriers de Délivrance (John Boorman, 1972). Le récit se développe autour d’un même réseau de personnages (randonneurs apeurés contre rednecks férocement hostiles) et propose des scènes similaires, en ellipsant cette fois-ci avec pudeur les actes les plus violents. On ne peut s’empêcher de penser également à la traque des jeunes personnages de Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974), qui se heurtent à la violence du Texas profond. Mais Humains, trop démonstratif dans ses ambitions fantastiques, n’est pas à la hauteur de ses sources d’inspirations, bien plus réalistes et subtiles. Les hommes de Neandertal, trop présents à l’écran pour rester mystérieux et fascinants, finissent par susciter davantage le rire que la crainte. Il aurait été judicieux de maintenir un peu ces êtres étrangement inquiétants dans l’ombre et de limiter leur visibilité au centre de l’image. La peur naît simplement de l’inconnu, de l’invisible, de l’ineffable, comme Le Projet Blair Witch (Daniel Myrick, Eduardo Sanchez, 1999) nous l’a bien prouvé en son temps. Laissons donc l’imagination du spectateur faire son œuvre, au lieu de faire la démonstration d’effets spéciaux de maquillage dont la crédibilité reste discutable. La surexposition des créatures à l’écran pendant la dernière demi-heure du film brise en effet toute possibilité de projection et de participation spectatorielles. Contraint de retrouver son scepticisme, le spectateur se contente alors d’observer la débâcle des différents groupes en conflit. La fin du film, forcément très ouverte, témoigne bien de la difficulté de suggérer une quelconque conclusion à cette folle aventure.
Enfin, les décors du film, les embûches rencontrées par les accidentés et la présence d’êtres étranges et malveillants rappellent clairement l’univers de Lost et les enjeux narratifs des deux premières saisons de la série. Les fans trouveront peut-être un certain plaisir à voir l’atmosphère de la création de J.J. Abrams transposée dans un décor européen. Ils considéreront peut-être aussi Humains comme une pâle copie, surfant sur le succès d’une série qui a montré de grandes difficultés à gérer la complexité d’un récit empreint de surnaturel. Ce film de genre français se défend donc comme il peut. Pour être appréciable, il doit être envisagé comme une curiosité à découvrir avec l’esprit très ouvert, comme un simple moment de délire cinématographique, dont l’originalité n’est finalement qu’un écran de fumée.