«… que restera-t-il pour répondre à la bombe ? Dans une telle démesure, la contestation relève de la psychopathie. » Ainsi parlait Louis Chauvet, dans les colonnes du Figaro, le 11 mai 1969. Soit, à peu de chose près, un an après les événements de mai 1968 – une période historique troublée à laquelle If.… est profondément liée dans la légende cinéphilique. Pourtant, le film de Lindsay Anderson tient bien plus du diagnostic pointu – puisqu’il précède, chronologiquement, l’embrasement de ces années-là. Mais, on ne lutte pas contre la légende.
Louée soit Barbarella. Alors que les distributeurs de If.… avaient détesté le film, le flop commercial de Barbarella, ainsi que la loi de quota Eady qui imposait un certain nombre de productions britanniques par an sur les écrans en Grande-Bretagne les poussèrent à le sortir malgré tout. C’est ainsi que If.…, qui arriva sur les écrans à partir de mi-décembre 1968, se trouva associé à la révolte de mai, alors qu’il avait été conçu et tourné avant les événements que l’on sait. Cette association explique certainement la réception publique – un succès inattendu – et la réception critique – malgré sa Palme d’or à Cannes en 1969, le film est l’objet de vifs reproches de la part de la presse. Ironiquement, les détracteurs du film l’accusent de surfer sur la vague contestataire.
Autant dire que ces reproches soulignent avec force la pertinence du regard de Lindsay Anderson qui, avec cette version du Zéro de conduite de Jean Vigo (1933), cherche autant à brocarder le système éducatif britannique qu’à exprimer, paradoxalement – car le film est profondément onirique –, ses préoccupation réalistes. Lui-même fruit de cette éducation, Lindsay Anderson cherche, après Le Prix d’un homme (1963), à monter un script agressif et dénonciateur, qu’il titre « Croisés ». Hélas, Le Prix d’un homme, qui est le premier long de Lindsay Anderson, a très mal marché au box office. Le réalisateur se gargarise d’ailleurs de cet échec : preuve, selon lui, de l’intégrité de son propos. Le mouvement dont se réclame globalement Anderson est The Kitchen Sink movement : besoin d’un nouveau cinéma, références prises sur un nouveau théâtre, quant à lui bien existant, et fascination pour la culture ouvrière. Le cinéma anglais, pour Lindsay Anderson, est « plein d’inhibitions émotionnelles, volontairement aveugle quant aux conditions et aux problèmes du temps présent ».
C’est donc avec l’idée de subvertir le récit de grande école, un genre reconnu en Grande-Bretagne depuis son heure de gloire, l’époque victorienne, que Lindsay Anderson cherche à monter Croisés – mais le titre fait peur. Suite à une interminable entrevue entre le réalisateur et son producteur, Michael Medwin, que la secrétaire de celui-ci, Daphne Hunter, suggère le « If » auquel Lindsay Anderson rajoutera les quatre points de suspension. Pour quelles raisons ? Cela reste nébuleux, et propice à l’interprétation.
Cela convient d’ailleurs fort bien au film, qui joue perpétuellement sur l’incertitude, et sur la polysémie des images : qu’est-ce qui, dans cette histoire de révolte armée au sein d’une grande école anglaise, relève de la réalité, et qu’est-ce qui relève du fantasme ? Le film joue stylistiquement de cette incertitude, en multipliant les changements de palette de couleurs : du noir et blanc à la couleur, sans logique apparente. Si l’on doit chercher celle-ci, ce sera certainement dans cette anecdote de tournage : la lumière de la scène du chœur de l’église ayant posé des problèmes à l’équipe technique, il fut décidé de la tourner et noir et blanc. Pour éviter l’hétérogénéité de la scène, Lindsay Anderson décida que nombre de scènes seraient aussi en noir et blanc, afin de renforcer la sensation de perte de repères de l’auditoire.
Le propos central de Lindsay Anderson repose sur cette ambiguïté : pour incertaines qu’elles soient, ces images sont malgré tout le symptôme d’un mal-être vis-à-vis de la société, d’un refus net et brutal de ses valeurs. C’est là que se situe la différence avec Zéro de conduite : pour Lindsay Anderson, l’école n’est pas une miniature innocente et candide de la société, mais bien son calque exact, avec ses compromissions, ses jeux de pouvoir abjects et ses inégalités. Pour lui, la seule issue est donc la lutte armée, la destruction totale des racines – que ce soit dans un fantasme suscité par la frustration et les brimades ou dans les faits importe peu, car la société n’a rien à offrir à ceux qui ne sont pas déjà privilégiés. La chimère éducative n’est qu’un moyen biaisé de perpétuer le status quo, et la révolte ne peut qu’advenir, et advenir dans le sang. L’artiste, car le personnage central de Mick Travis est un double avoué de Lindsay Anderson, se révolte, détruit le monde d’où il vient… et se retrouve seul. La révolte, inévitable, ne peut cependant accoucher que du néant. C’est ce nihilisme désabusé qui échappe à ceux qui relient If.… et mai 1968 : Lindsay Anderson en prophète de la révolte n’est qu’une Cassandre, certes fort perceptive, mais également consciente de la vanité du combat qui s’annonce.
Et pourtant, le personnage de Mick Travis reviendra, bien des années après, dans O Lucky Man (1973) puis dans Britannia Hospital (1985). Mais, l’évolution du personnage, dont nous reparlerons, doit être distinguée de celle du film. Si Mick Travis poursuit sa destinée, le récit de révolte de Lindsay Anderson était appelé à connaître un nouvel avatar, une suite « officielle » (et non, donc, la suite des aventures de son personnage principal), dont la production a été interrompue par le décès du réalisateur en 1994. La destinée de Mick Travis était, cependant, certainement tout aussi importante dans la filmographie de Lindsay Anderson : c’est également celle de son indéfectible amitié avec Malcolm McDowell, qui entre dans le panthéon du cinéma avec ce rôle. Précisons d’ailleurs que c’est une claque qui fait entrer l’acteur, qui jusqu’alors cachetonnait dans les pièces de théâtre de la région de Londres, dans le monde du cinéma : celle donnée par l’actrice Christine Noonan alors qu’il tentait de l’embrasser pendant une audition. Cette scène – celle du Packhorse Cafe – montrait la tension érotique entre les deux personnages, qui se tournaient autour, littéralement comme deux tigres en cage, leur a donné l’occasion de se laisser aller d’une façon aussi sensuelle que grandiloquente, jusqu’à la claque assénée à un Malcolm McDowell peut-être un rien trop entreprenant. D’un clac !, voilà l’acteur remarqué : « c’est la baffe qui m’a propulsé au rang de star », souligne l’acteur dans Lindsay Anderson, a Personal Rememberance. Encore une fois, de quoi écrire une légende.
If.…, c’est donc un film face à sa légende. Admiré pour cette dernière, le film démérite-t-il si on le replace dans son contexte réel ? Évidemment, non. Critique brillante et ironique de la société anglaise, If.… est un film au propos bien plus universel – autant un document fascinant sur les prémices de la chute qu’une parabole exemplaire, et dont la forme voltairienne devrait inspirer à jamais les satires politiques.