Bien que Jane Got a Gun partage une similitude de titre avec l’unique film de Dalton Trumbo (Johnny Got His Gun), la comparaison, aussi bien thématique que qualitative, s’arrête là. Western féministe, repêché dans la fameuse « Black List » d’Hollywood, Jane Got a Gun a connu bien des rebondissements dans sa pré-production (changement de réalisateur, de directeur photo et de casting), et le résultat final qui atterrit sur les écrans aujourd’hui s’en ressent.
À la fin du XIXe siècle, au Nouveau-Mexique, Jane (Natalie Portman) voit revenir son époux criblé de balles. Ancien hors-la-loi, Bill Hammond (Noah Emmerich) a de nombreux ennemis, au premier rang desquels le clan Bishop. Bien décidés à lui faire payer son ancienne défection, Bishop (Ewan McGregor) et ses sbires s’apprêtent à faire le siège de la ferme de Jane et Bill. Épaulée par Dan son ancien amant (Joel Edgerton), la jeune femme prend les armes dans un baroud d’honneur pour mettre enfin un terme à cet infernal cycle de violence.
Un récit laborieux
Construit en mille-feuille temporel où chaque flashback éclaire un pan de l’existence de Jane (son histoire d’amour avec Dan, sa rencontre avec les Bishop, son mariage avec Hammond…), Jane Got a Gun ne fait pas mystère de ses intentions, louables au demeurant : féminiser un genre cinématographique très masculin. Natalie Portman, de tous les plans ou presque, se veut le pivot autour duquel les hommes gravitent, attirés par sa beauté solaire. Seule survivante du casting original, productrice, l’actrice américaine a sans conteste ardemment désiré ce rôle de mère courage à la fine gâchette et le réalisateur Gavin O’Connor le lui rend bien. Les innombrables gros plans de son visage, sorte de réponse esthétique aux sales trognes autrefois magnifiées par Leone, parsèment le long métrage, apaisent les personnages tout autant que le public alors même que la brutalité des échanges fait rage. Cette dichotomie assez singulière dans un western demeure toutefois la seule originalité de traitement de Jane Got a Gun. Le scénario, où les éléments du passé s’enclenchent de façon téléguidée pour dessiner le portrait d’une femme blessée, entasse les clichés comme autant d’escales obligatoires vers son affranchissement attendu, qu’il soit tragique ou non. Quant à l’émiettement de ces événements antérieurs, mécanique et roboratif, il nuit grandement à la compassion que l’on devrait ressentir face au triste destin de la jeune femme. Le dévoilement progressif de sa biographie, entre mélo contrarié et déchéance grandiloquente, brouille ainsi la compréhension des liens qui l’unissent aux divers intervenants. Au-delà de la lenteur de cette esquisse, appuyée par une mise en scène sans aspérité, on aperçoit surtout les limites du choix narratif d’O’Connor qui, à trop nimber de mystère son récit, à trop en retarder les explications, finit par le désincarner.
Normalisation du western
Mais le plus problématique dans Jane Got a Gun réside dans l’obstination à un retour à la normale. Le western a beau avoir des décennies durant prôné une moralisation outrancière (l’époque John Wayne), ce genre a aussi, sous la houlette de brillants réalisateurs, ausculté les pulsions criminelles d’une certaine Amérique, ses vices et ses écarts sans nécessairement les juger. Jane Got a Gun, malgré son couple de marginaux en bout de course, s’accroche désespérément à sa happy end, rayant d’un trait de plume, dans les derniers instants, une des seules séquences véritablement amorales. Ce retournement, inutile et néfaste, fait entrer le film dans le rang, comme une quelconque comédie romantique où tout est bien qui finit bien. Une issue quelque peu déceptive, où l’on arrive à mettre dans le même sac un western soi-disant féministe et La Petite Maison dans la prairie.