Immense interprète et icône psychédélique du mouvement hippie, Janis Joplin demeure pour beaucoup la première femme à accéder au fameux club des 27 (après Brian Jones, Jimi Hendrix et avant Jim Morrison, Kurt Cobain ou plus récemment Amy Winehouse). Pasionaria sur scène, connue pour sa dépendance à l’alcool et aux stupéfiants, sa biographie semble taillée sur mesure pour épouser les canons du rock’n’roll. Et pourtant, de sa jeunesse texane à son retour au bercail pour une soirée d’anciens élèves, Janis tente de brosser autrement le portrait de la star borderline à la voix rocailleuse.
Un autoportrait épistolaire
La réalisatrice Amy Berg (repérée grâce à son premier film, Deliver Us from Evil, un documentaire qui pointait les cas d’abus sexuels dans l’église catholique), ne fait pas mystère de son admiration pour la chanteuse. Et pourtant, elle a beau dérouler son fil narratif chronologique sans éviter les épisodes célèbres et les clichés (overdose, séparation d’avec Big Brother and the Holding Company, son groupe historique ou encore ses prestations à Monterey ou Woodstock), elle parvient à esquisser en parallèle le portrait pudique de la jeune femme, inadaptée attachante au talent troublant. Si le film a déterré des sources iconographiques et des témoignages inédits (son frère et sa sœur par exemple), ce qui émerge de cet ensemble réside dans la lecture par Cat Power d’extraits de la correspondance entre Janis et ses parents. Enfant quelque peu associable et adolescente incomprise par les siens, Janis met rapidement les voiles pour débarquer en 1963 (elle a alors 20 ans) à San Francisco. Alors qu’on aurait pu imaginer que son succès et le tourbillon beatnik qui l’entoure auraient eu raison de ses liens familiaux, la chanteuse n’a cessé de rendre compte à sa famille des événements de son quotidien, de son mal-être ou de son irrésistible ascension médiatique. Cette prise de distance inattendue dans un biopic documentaire alimente habilement un contre-portrait, presque un autoportrait post mortem des plus surprenants. Malheureusement, Amy Berg apparaît embarrassée de ce matériau inestimable. Elle en ponctue son récit mais sans véritablement en saisir la puissance. Cette plongée dans la psyché de Janis Joplin (et d’une époque révolutionnaire sociologiquement) qui aurait pu être le cœur du documentaire fait l’effet d’un ajout cosmétique, presque anecdotique.
Dépolitisation patente
Quant au statut féministe de Janis, l’une des seules femmes leader d’un groupe de rock à l’époque, dotée d’une forte personnalité au comportement presque viriliste, pas un mot. Dans les États-Unis en pleine mutation sociale (le combat de la minorité noire, la remise en cause du consumérisme et du capitalisme), la place de cette artiste n’est guère anodine. L’émancipation sexuelle dont elle fut une des représentantes à l’heure où les ligues féministes bombaient le torse en France, aurait pu tirer l’hagiographie convenue vers une ambition plus large : l’inspiration que cette femme insoumise a sans nul doute suscitée chez la gente féminine en mal de modèle dans les années 1960. Mais Amy Berg préfère réduire sa focale à son seul sujet biographique, intéressant certes mais indubitablement parcellaire.