Cinq ans après Je me fais rare, Dante Desarthe reprend son personnage alter ego Daniel Danite, cinéaste tenace, convaincu et plutôt loser. Au fil de séances de psychanalyse, Daniel accompagne et raconte en voix off quelques heures de son parcours exalté. Comment il a oublié femme et enfants pour réaliser un film institutionnel sur le postmodernisme devenu un documentaire sur les frères Coen. Comment il a développé un improbable musée vivant du cinéma sur les collines d’Aix-en-provence. Comédie cinéphile, parfois décousue et brouillonne, Je fais feu de tout bois séduit légèrement mais ne s’accomplit pas.
Moteur et centre du film, Daniel Danite passe fiévreusement d’une idée à une autre, de projets délirants en concepts farfelus. Il est le seul à compter, à savoir, à voir. Il fuit les responsabilités familiales, il traque les producteurs. S’il est souvent moqué, il parvient parfois à convaincre ou du moins à faire douter ceux qu’il croise, évitant ainsi que son personnage porte le seul masque du clown. Tout est matière, tout brûle de cinéma, tout fait courir Danite-Desarthe, non sans intriguer, tant qu’on ne se demande pas ce qu’il remue vraiment.
Attachant, irritant et sympathique, hanté par le cinéma et les grandes figures d’acteur-réalisateur, le personnage fonctionne, quelque part entre Emmanuel Mouret et Woody Allen. Il est plus complexe qu’il n’y paraît et le comique de son profil loser est compensé et enrichi par l’expression constante de sa monomanie. Mais le jeu de ce grand corps maigre penche moins vers le burlesque que vers la logorrhée et les scénettes plus ou moins décousues qui s’enchaînent reposent presque exclusivement sur la bonne réplique. D’où une sensation de sitcom télé fauché où la sincérité alterne avec la pose.
Voyons ce que raconte ce Daniel Danite, au-delà de cette impression : son concept du moment est de promouvoir le cinéma réalisé par des frères pour améliorer l’état du septième art. Deux fois moins de films, deux fois meilleurs, gardés deux fois plus longtemps en salles. De deux il passe à trois, cherche des triplés et, n’en trouvant pas, décide de devenir le troisième frère des frères Coen. On le voit, le film s’amuse plus de pousser aux extrêmes les raisonnements que de leur fournir une base solide. Mais quand Danite donne des cours de cinéma à des chômeurs, qu’il expose d’abstraites théories à la place du concret que réclame leur timide motivation, difficile de s’affranchir de l’impression qu’un cours est aussi donné au spectateur. C’est le piège de la comédie cinéphile et l’idée du cinéma n’existe ici que pour elle-même. Sur un mode comique ou non, elle reste un moteur et non une réflexion. Finalement, seule se dessine la figure du créateur effréné, avec ses tares et ses qualités inconscientes. Je fais feu… porte bien son titre, mais voici de petits feux, qui éclairent sans réchauffer. Le film a du postmodernisme le chaos, pas la pensée du chaos.
Plus il avance, pourtant, plus l’ensemble gagne en cohérence et une poésie des décors relaye parfois le comique (les statues géantes sous la Sainte-Victoire, le bateau de croisière). Mais Desarthe semble manquer de confiance dès qu’il cesse de s’agiter à l’écran, son attention est toujours plus devant la caméra que derrière. Il sait jouer du tiraillement entre ses deux statuts, mais on aimerait le voir prendre plus de temps pour filmer que pour se filmer, et donner sa chance à un peu de lenteur, un peu de dépouillement. Fuir le vide ne suffit pas à le combler.