Dante Desarthe réalise avec Je me fais rare un film tout à fait surprenant et inattendu, une comédie artisanale qui raconte l’histoire de Daniel Danite, un cinéaste prétentieux et attachant qui souffre d’un profond manque de lucidité. Incarné par Dante Desarthe lui-même, le film se construit sur le procédé comique de l’humour: cette façon de présenter de façon sérieuse des idées ridicules, et sur le recours à une ironie bien dosée et dépourvue de cynisme, ou d’agressivité. Au cœur de Je me fais rare perce aussi un discours, celui d’un cinéaste habile et manipulateur qui interroge sur un ton badin notre conscience du cinéma.
Daniel Danite, jeune cinéaste en herbe déborde de théories sur tout. Dans sa bibliothèque à côté des cassettes de Kubrick, sont rangés soigneusement les tomes de L’Image temps et de L’Image mouvement de Gilles Deleuze. Une bibliothèque dans laquelle pourraient aussi certainement figurer les Bazin, Daney et autres Bergala. Il proclame haut et fort qu’il déteste la vidéo et les nouvelles technologies qui envahissent son art. Pourtant quand on lui offre une petite caméra numérique alors que le tournage de son « grand film classique » est repoussé, il ne résiste pas longtemps à la tentation de se filmer. Après avoir convaincu Michel, son ami fidèle, de le suivre, les deux compères se lancent dans l’aventure de l’autofiction.
La plus grande réussite de Je me fais rare procède de la façon qu’a le cinéaste de désamorcer de façon radicale tout ce qui pourrait paraître dans un premier temps sérieux. Dante Desarthe s’affranchit de ce qui pourrait plomber l’envol comique de son film. Être sérieux c’est refuser une forme de légèreté que le film n’aurait pas pu supporter. Le cinéaste a choisi d’avoir un maximum de liberté. Dans son cas, le corollaire de ça, c’est un maximum de pauvreté. D’où un certain minimalisme de la forme. Armé de sa caméra, Daniel affirme haut et fort qu’il est le « le James Bond de l’auto-fiction », il est persuadé d’être un héros en train de réaliser un chef-d’œuvre sous forme de grande épopée intimiste. Il se compare à un Don Quichotte moderne et voit en Michel, un fidèle petit serviteur, qu’il baptise Sancho. Il y a bien en effet un brin de Cervantès dans Je me fais rare: la même aspiration au fantasme, le même désir de quête. Seulement on ne chasse plus des moulins mais les ombres fantasques des producteurs, on ne se déplace plus à dos de destrier mais avec des rollers…
Face aux emportements verbaux de Daniel, la placidité à toute épreuve du regard de Michel: deux visages qui rendent compte en même temps du décalage humoristique. Mais, plus profondément, le recours au comique fait figure de remède au regard de la production cinématographique française actuelle. Au mépris des trivialités de la vie courante, Daniel se présente malgré lui comme un redresseur de torts, un petit cinéaste simple, qui souffre d’une naïveté aiguë et ose prendre son combiné pour demander avec une assurance irrésistible: « I’d like to speak to mister Jack Nicholson’s agent ». Dante Desarthe réussit avec ce petit film à faire sauter tout ce qu’il y a de plus haïssable dans le cinéma: la starisation, le cinéma de paillette, sophistiqué à outrance, les films aseptisés et sorbonnards. Avec une liberté de franc-tireur, il prend pour cible les clichés bobos en se jouant des postures pseudo-intellectuelles. Il se joue aussi des vieux réflexes du ciné industriel, usant de la parodie lorsque Daniel tente de convaincre sa monteuse et Michel de bien vouloir accomplir la traditionnelle scène sexuelle…
Je me fais rare est un objet cinématographique inclassable et tout à fait singulier, un film qui réussit le tour de force incroyable de raconter une histoire qui parvient à assumer de façon paradoxale deux types de mouvements cinématographique: celui de glisser sur le sujet qu’il traite car le cinéaste embrasse avec une désinvolture pleine de légèreté l’idée d’acte de création, et en même temps celui de pénétrer une réalité cinématographique, d’évoquer de façon réflexive les travers du cinéma actuel.
Ce petit film libre ne serait pas sorti en salle sans le soutien décisif du producteur Paulo Branco (un autre Don Quichotte!) qui le trouvait drôle. Malgré quelques longueurs qui ont tendance parfois à diluer un peu les effets comiques, le film se déploie avec une énergie réjouissante. Dante Desarthe a le don des phrases chocs, prononcées avec humour: « Il faut vivre avec son temps. Parfois les bonus sont encore plus intéressants que le film. » Sans jamais vouloir être pris au sérieux, Desarthe parvient sérieusement à nous faire rire.