Au cinéma, il faut se méfier des bonnes réputations. Margarethe von Trotta, réalisatrice allemande, fut dans les années 1970 et 1980 l’une des grandes figures du cinéma de son pays ; épouse de Volker Schlöndorff, elle co-réalise avec lui L’Honneur perdu de Katharina Blum en 1975 avant de mettre en scène, seule, Les Années de plomb en 1981 (Lion d’or à Venise), Rosa Luxemburg (1985), Les Années du mur (1995) et Rosenstrasse (2003). Un cinéma politique, militant, soucieux de rendre compte des tourments d’un pays et d’un peuple malmenés par l’Histoire. Avec Je suis l’autre, von Trotta délaisse la mémoire collective pour verser dans le récit métaphorique d’une femme aux souvenirs défaillants, dont les troubles de la personnalité plongent un jeune homme bien sous tous rapports dans un univers glauque et dangereux. Hélas, ne s’improvise pas maître du suspense qui veut !
Robert est un ingénieur brillant. À la veille d’un rendez-vous professionnel avec une avocate d’affaires, Carolin Winter, il rencontre dans un hôtel Carlotta, une femme avec laquelle il passe la nuit, et dont le « charme » vénéneux l’envoûte littéralement. Surprise : lorsque le lendemain il fait la connaissance de Mme Winter, il découvre que les deux femmes ne font qu’une… mais que ni l’une ni l’autre ne semblent en avoir conscience.
Dès le départ, ce qui aurait pu être une sympathique série B revue et corrigée par une réalisatrice allemande plus habituée à un cinéma politique, se révèle catastrophique. Il est des films dont on devine dès les premières minutes que le désastre va être irrémédiable ; Je suis l’autre est de cette catégorie. La scène de la rencontre entre Robert (August Diehl, aussi charismatique qu’une huître, lesté tout au long du film par un sourire figé absolument insupportable) et Carlotta évoque l’esthétique très 80’s des films de Beineix : dominante bleutée pour l’univers glacé de Robert, le rouge pour la vénéneuse Carlotta, dont le look très pute de cinéma a de quoi laisser perplexe. D’emblée, il est quasi impossible de croire à la fascination qu’exerce un personnage aussi caricatural sur un autre incarné par une flagrante erreur de casting.
Robert va très vite s’acharner à comprendre pourquoi Caroline est visiblement schizophrène, pourquoi sa famille – et particulièrement son père – est aussi timbrée et pourquoi il est attiré par ce poison alors qu’une gentille épouse l’attend sagement à la maison (un rôle tellement sacrifié, anecdotique et finalement peu crédible, dont on se demande constamment quelle est l’exacte utilité dans le récit). Le problème, c’est que l’on n’en a rien à faire, puisque apparemment Margarethe von Trotta non plus : débarrassés de toute épaisseur, les personnages traversent méthodiquement les scènes d’un point A à un point B, mais la réalisatrice ne semble pas se soucier de la cohérence de l’ensemble. Mises bout à bout, les pièces du puzzle ne s’imbriquent jamais. Le montage catastrophique, tendance Derrick sous Lexomil, n’arrange rien. Sur la fin, dans un sursaut d’inspiration, Margarethe von Trotta se donne pourtant beaucoup de peine : embarqués au Maroc, nos deux héros tentent un vague remake du Patient anglais. Peine perdue : le final, grotesque, provoque un incontrôlable fou rire. Pourtant, quand on repense à ce nanar dans la jolie filmo de Margarethe von Trotta, il y aurait plutôt de quoi en pleurer.