À la recherche d’Ingmar Bergman est une sorte d’enquête. À la façon d’une Miss Marple, la fantaisie et la facétie en moins, la cinéaste allemande Margarethe von Trotta remonte aux origines de son admiration pour l’œuvre du cinéaste suédois, lorsqu’étudiante à Paris, en 1960, les auteurs de la Nouvelle Vague guidèrent ses pas jusqu’à la salle où était projeté Le Septième sceau. Elle n’avait pas vingt ans et cette projection a décidé de son destin : pourquoi cette œuvre, pourquoi ce cinéma ont-ils à ce point marqué sa génération ? C’est la question qu’elle pose à elle-même (en ne rechignant pas à se mettre en scène, dans les décors de Farö ou face aux illustres personnages qu’elle interroge) et à quelques figures, artistiques et/ou personnelles, qui pour certains ont approché « le grand homme ». Entre l’artiste dont l’œuvre fut une des plus fécondes et des plus marquantes du siècle, le créateur de théâtre et de cinéma tourmenté, et le sale type qui abandonnait femmes et enfants, la cinéaste prend un peu tout et tente une reconstitution en forme de portrait recomposé, mêlant l’intime et l’artistique. Ce faisant, Margarethe von Trotta restitue un personnage ni plus ni moins mystérieux que celui que l’on connaît déjà. C’est un peu la limite de l’exercice d’ « admiration critique » auquel se livre Margareth von Trotta : sa « recherche » d’Ingmar Bergman ne nous en apprend guère que l’on sache déjà.
Pourtant, sous ses airs de promenade désinvolte et un peu sautillante façon coq à l’âne dans le panthéon bergmanien, la grande question au fond que pose la cinéaste est en quelque sorte celle de la perception du cinéma de Bergman « à travers les âges ». Margarethe von Trotta raconte d’abord le choc, celui qu’elle a vécu et que résument les propos assez convenus de Jean-Claude Carrière ou ceux, carrément cacochymes, d’un Carlos Saura qu’on a connu en meilleure forme. Les témoignages et l’analyse d’Olivier Assayas, de l’actrice Gunnel Lindblom (l’une des rares personnalités de théâtre à être interrogée dans le film) ou du spécialiste suédois Stig Björkman rappellent ces temps où, une fois ce choc passé, « tout était mesuré (compared) à Bergman », et soulignent la permanence d’une sorte d’étonnement face à un cinéma qui est parvenu à se renouveler et qui continue de surprendre. À ce titre, l’un des propos les plus intéressants est celui du jeune cinéaste Ruben Östlund (Snow Therapy, The Square), qui problématise ce rapport tellement suédois au maître en rappelant qu’il incarne encore aujourd’hui un dilemme pour tout cinéaste de son pays : entre Bo Witeberg et Ingmar Bergman, il faut choisir. Un dilemme et une injonction qui planent aussi, sur un plan plus intime, dans les témoignages du fils de Bergman, Daniel, reproche vivant de l’égoïsme du metteur en scène. Ces rencontres avec le fils et le petit-fils de Bergman, comme celle avec Rita Russek (De la vie des marionnettes) ou de la jeune comédienne qu’il fit jouer dans son dernier film, Saraband, reviennent toutes sur les contradictions de l’homme et cette « part d’ombre » que l’on connaît déjà : l’intéressé s’était lui-même confié avec brio dans Laterna Magica sur ses scrupules de père indigne et ses tourments de fils rancunier.
Restent alors les images tournées backstage sur le tournage de Fanny et Alexandre, les bouts d’interviews anciennes, les témoignages parfois émouvants, parfois éclairants. Le documentaire de Margarethe von Trotta évite un défaut majeur, celui de prétendre donner sens et cohérence à cet ensemble disparate et contradictoire que constituent la vie de Bergman, son œuvre, son rapport au monde, à l’art, aux autres. Mais il a les défauts de ses qualités : il se berce d’allusions et ne va guère plus loin.