Des Juifs orthodoxes passeurs d’ecstasy entre Amsterdam et New York ? Pas très catholique tout ça ! C’est en tout cas ce fait divers réel mais pour le moins saugrenu qui a inspiré Kevin Asch — le bien nommé — pour ce Jewish Connection. Si le mélange des genres et des milieux était plutôt attirant sur le papier, le film pâtit la plupart du temps d’un montage frénétique malvenu et de poncifs attendus sur la foi et le poids de la famille.
Fin 2008, Two Lovers sortait sur les écrans français et nous transportait dans une oppressante ambiance familiale dont tout l’enjeu reposait sur le choix du fils : rester dans le giron paternel ou s’émanciper en changeant totalement de milieu. Dans un certain sens, Jewish Connection se situe dans cette lignée : ici aussi, le poids du dilemme repose totalement sur l’émancipation, ou non, du héros. Sauf que Kevin Asch, qui a touché à la production, à la distribution, et même à la publicité et au sponsoring, mais finalement peu à la réalisation, n’a pas la flamboyance et le talent de metteur en scène de James Gray. Il a écrit Jewish Connection pour son ami Danny Abeckaser, qui produit le film, et qui, ayant vu un documentaire sur ce fait divers de la fin des années 1990, avoue à son ami « qu’il tuerait pour jouer le rôle de ce trafiquant de drogue ». Vous suivez ? Si l’on s’en tient à ce point de départ, on a vite envie de conclure que Kevin Asch ne sort pas ce sujet de ses tripes. Mais il s’agirait d’un jugement à l’emporte-pièce. Jugeons sur pièces, donc.
Jewish Connection est l’histoire de Sam Gold (Jesse Eisenberg, qui fait ici le grand écart après avoir incarné Mark Zuckerberg dans The Social Network). Il arbore ses habits noirs et ses papillotes avec l’innocence de ses vingt ans. Tout l’attirail du Juif orthodoxe, promis à un métier d’avenir, ainsi que le voit son tailleur de père : rabbin. Sauf que… Sam n’est pas tout à fait orthodoxe. Il est « à part », refusant la voie balisée qu’on veut tracer pour lui. Aussi, quand son voisin, Yosef, lui propose de faire passer des « médicaments » contre une alléchante rémunération, il n’hésite pas une seconde. Le voilà entraîné dans la spirale infernale du passeur de drogue, s’éloignant dangereusement de la voie de la raison. Tout le scénario repose sur un dilemme plan-plan et rebattu : la foi, la spiritualité, l’enfant sage versus l’attirance pour le milieu pas joli joli des excès de la nuit, bien loin du cocon familial et sociétal originel. Que va faire Sam ?
Si le scénario ne déshonore pas le film, jouant habilement du suspense en épousant un rythme bien équilibré et convoquant quelques personnages secondaires intéressants (Yosef, ou encore Rachel, la femme du dealer bien moins bête qu’il n’y parait), la mise en scène s’embourbe vite dans les images d’Épinal propres à chaque milieu. Pour les bas-fonds de la nuit, un montage et des lumières plus inspirés de l’univers du clip que de Scorsese, dont Kevin Asch se réclame mais qu’on n’arrive décidément pas à retrouver ici. La peinture de « l’autre monde » (celui du jour, du quartier juif new-yorkais) est plus réussie. Le réalisateur est visiblement plus doué pour les scènes de rues naturalistes autour de la boutique du père ou devant la maison du héros. Son travail sur les lumières et le traitement de l’espace, qui épouse des personnages qui s’y déploient avec aisance, est nettement plus convainquant. En revanche, les clichés viennent rattraper les scènes dans la synagogue (Sam distrait versus l’ami bon élève qui a les faveurs du rabbin) et finissent par nous faire décrocher. Dès lors, le dilemme qui se pose à Sam prend un tour mollasson : le fils renié, le fils seul au monde, le regard de Dieu qui attire la honte sur la famille.
Malgré tout, Jewish Connection comporte quelques belles scènes moins manichéennes. La relation entre Sam et Rachel est intéressante. Fantasme de boîte de nuit, elle est aussi celle qui représente l’autonomie que cherche Sam, la tierce voie qui pourrait le faire grandir et l’éloigner du déterminisme familial. En dernier ressort, le film doit beaucoup à l’interprétation de Jesse Eisenberg ; il ne surjoue jamais et propose une palette subtile des différents sentiments par lesquels il passe. Le jeune acteur excelle décidément à incarner des destinées à la marge mais tournant leur désavantage en succès. On espère le retrouver bientôt dans un film un peu plus excitant.