Alors qu’il traverse le désert en camionnette, un homme bourru percute une chèvre qui se trouvait sur son chemin. Après avoir embarqué la carcasse de l’animal, il croise au hasard de son trajet un assassin qui doit venger la mort de son père. Pour Jinpa, le réalisateur Pema Tseden s’est inspiré de deux nouvelles : l’une qu’il a écrite et l’autre rédigée par l’écrivain Tsering Norbu. Avec un tel matériau de départ, on pouvait espérer voir un film qui prenne à bras le corps la réalité quotidienne du Tibet, pays que l’on voit trop peu sur les écrans – dont la rareté même suscite l’intérêt. Malheureusement, le film de Pema Tseden se révèle symptomatique d’un cinéma issu des pays les plus en marges : il s’adresse avant tout à un public international (souvent issu des festivals), quitte à perdre la verdeur culturelle de son pays d’origine. En dépit de l’influence évidente qu’exercent ici ou là les films d’Abbas Kiarostami (le périple en voiture évoque un mélange du Goût de la cerise et de Ten), Jinpa s’avère inféodé à un cinéma sans âme et mondialisé.
Les facilités du film découlent notamment de son manque de style et de l’utilisation d’effets de mise en scène vus et revus. L’étalonnage participe pleinement de ce problème : un filtre verdâtre, d’une grande laideur, assombrit l’image, tandis que la mise en scène des séquences de rêve et de souvenir se résume à les tourner en sépia ou en noir et blanc, sans que le montage ou le placement de la caméra n’y ajoutent quoi que ce soit. Le manque d’inspiration va de pair avec une narration qui peine à savoir où aller, tombant dans un égarement assez confus ne laissant pas beaucoup de place à la contemplation du désert tibétain. Dans une deuxième partie en forme « d’enquête », le héros bourru cherche à savoir qui est véritablement l’assassin qu’il a conduit jusqu’au village. Or cette quête ne mène à aucun enjeu précis, sinon à un moment de rêverie abscons, au point que le film semble s’être perdu dans le désert qu’il filme. Si Jinpa se termine par un proverbe tibétain censé donner le fin mot de l’histoire, à savoir « si l’on fait participer quelqu’un à un rêve, il devient aussi son rêve », le style scolaire entre en totale contradiction avec cet horizon onirique. Le film ne prend pas l’audace de s’envoler réellement, de faire vivre le conte tibétain tant promis. De surcroît, la mise en scène, très terne, ne saisit jamais la réalité quotidienne du Tibet, et se rend incapable d’en montrer les facettes les plus étranges, les rêves et les contes.