Si la quête de vengeance d’un ex-tueur à gages constituait son impulsion première, la franchise John Wick a peu à peu dilué sa narration pour explorer les ramifications d’une pègre pop et fantasmatique, prétexte à l’enchaînement de scènes d’action toujours plus amples et fantaisistes. Dans ce quatrième chapitre, le renégat John Wick (Keanu Reeves) part en guerre contre la Grande Table, organisation mafieuse aux innombrables hommes de main, pour recouvrer sa liberté. La formule, qui consiste à déployer des rixes brutales mêlant corps-à-corps et armes à feu au sein de destinations exotiques réduites à des cartes postales (cerisiers, samouraïs et ramens au Japon ; Tour Eiffel, Arc de Triomphe et Sacré-Cœur à Paris), commence à ronronner. Quelques trouvailles ludiques (un combat alternant armes à feu et nunchakus, la transformation d’un pistolet désossé en arme blanche, etc.) parviennent cependant à reconfigurer astucieusement les affrontements, notamment par l’entremise d’un personnage d’assassin aveugle campé par Donnie Yen. Ses chorégraphies à la fois virevoltantes et désinvoltes rappellent la physicalité burlesque que promettait notamment l’introduction du deuxième volet, dans laquelle une chute à moto dans les rues de New-York prolongeait une cascade d’un film de Buster Keaton projeté sur la façade d’un immeuble. Les autres seconds couteaux ne servent en revanche qu’à combler le manque d’épaisseur du personnage principal, dont le récit ne semble pas exactement savoir quoi faire : il est dépeint tout à la fois comme un ange de la mort, un veuf vengeur, un super-héros immortel (il survivait, dans le dénouement du troisième film, à une chute depuis le toit d’un immeuble) et devient même une improbable figure christique (durant la conclusion de ce volet, sur les marches d’un lieu sacré aux lueurs de l’aube). Il pourrait être, en principe, un pur corps d’action, mais le scénario choisit de s’appesantir sur ses états d’âme pour susciter l’empathie.
Si bien que le film, en dépit de son épure de façade, s’empêtre dans un fatras de sous-intrigues. La chose est d’autant plus regrettable que la mise en scène brille lorsqu’elle délaisse son décorum et vise un sentiment de pure sidération plastique. Entre cartoon et vidéoclip, elle recompose alors les décors en un réseau de lignes, couleurs vives et formes abstraites. En cela, ce nouveau volet poursuit les élans postmodernes du précédent : les scènes d’actions, stylisées et chorégraphiées, sont guidées par une démesure visuelle qui ne s’embarrasse guère de justifications narratives. En s’éloignant de la sorte des rivages du film d’action conventionnel, la franchise rapproche sa construction de celle d’un jeu vidéo. Depuis le troisième chapitre, Parabellum, les espaces explorés s’apparentent à une succession d’arènes géographiquement disjointes, envahies inlassablement vague après vague d’ennemis génériques toujours plus résistants (à la fin de Parabellum, des soldats invulnérables à la plupart des armes à feu), puis de « boss » particulièrement retors. La conclusion de ce Chapitre 4 reprend d’ailleurs, dans les escaliers de Montmartre, ce principe de « niveaux », chaque palier accueillant des opposants plus coriaces. Cette propension à lorgner du côté du jeu vidéo culmine lors d’une séquence d’action dans une bâtisse parisienne délabrée. Si lors d’un plan de Parabellum, la caméra singeait déjà le point de vue d’un jeu de tir à la troisième personne (s’arrimant au personnage d’Halle Berry, que l’on voyait alternativement tirer, avancer et se mettre à couvert), elle épouse ici la vision d’un « top down shooter » tel Hotline Miami, filmant la scène depuis un point de vue zénithal. Flottant au-dessus des cloisons pour suivre John Wick, elle embrasse à la fois le décor et la progression implacable du héros, de façon à réactualiser, à l’aune du jeu vidéo, une lisibilité héritée d’un cinéma d’action plus classique. Le film dessine ainsi par endroits un prototype de film d’action ultraviolent et sans affects, qui enchaînerait avec épuisement, mais aussi avec une certaine grâce, les mises à mort. Ces ambitions sont cependant entravées par ce qu’il reste du canevas narratif : les dernières circonvolutions du récit, tirant sur la corde d’émotions compassées (deux relations père-fille comme sources de pathos), empêchent le film d’épouser la radicalité à laquelle il prétend.