Film totalement formaté pour plaire à la jeunesse nippone, Kamikaze Girls est aussi artificiel que les décorations sur une bûche de Noël, et d’aussi bon goût. Film-gadget bondissant et hystérique, plongée dans le monde sur-fabriqué des bandes de jeunes Japonaises, Kamikaze Girls est un divertissement sauvage et drôle.
Momoko est une jeune fille de 17 ans, réfractaire à toute société, qui ne vit que par son fantasme vestimentaire de la France rococo du XVIIIe siècle. Ichigo, quant à elle, fait partie d’une bande d’amazones modernes, parcourant les routes japonaises à moto, dans un égal rejet de la normalité. Kamikaze Girls narre l’improbable rencontre entre la précieuse et décalée Momoko et la violente Ichigo. Cette étrange comédie adolescente propose au public hexagonal une plongée dans le monde complètement étranger des adolescents japonais, et de leurs revendications vestimentaires. Car il s’agit ici vraiment d’une bizarrerie à caractère hautement revendicatif, tant l’originalité vestimentaire est devenue un signe social fort au pays du soleil levant. Les deux communautés ici représentées sont les Lolitas et les Yankis (« Apaches » dans la traduction française), mais de nombreux autres courants existent au Japon. Kyoko Fukada, interprète de Momoko, est elle-même une icône de la pop sucrée adolescente, comme on a déjà pu le constater dans le Dolls de Kitano Takeshi.
Entre les séquences de dessins animés et les couleurs saturées du film, Kamikaze Girls donne dans l’outrance la plus totale, que ce soit dans les décors, costumes, la mise en scène… Le réalisateur avoue lui-même qu’il a poussé ses interprètes à se laisser aller, à « ne pas avoir peur du ridicule ». Force est de constater que de ce point de vue, Kamikaze Girls n’a pas vraiment de complexe, et c’est grâce à cette incroyable intégrité dans l’excès que le film échappe le plus souvent au ridicule qui le guette. De la même façon que Momoko et Ichigo refusent de retrancher quoi que ce soit à leur grandiloquence vestimentaire, le film refuse de pencher vers une narration plus traditionnelle, donnant volontairement dans les « effets manga ». Il en résulte que le film s’adresse avant tout à un public conquis – les jeunes Japonais, et dans une moindre mesure, les Occidentaux déjà sensibilisés aux outrances de cette culture. Avec le potentiel indéniable d’un film culte, le film ravira les convaincus, mais aura sans doute du mal à emporter l’adhésion des simples curieux.
C’est pourtant la première fois que le cinéma offre au spectateur français l’occasion de se familiariser avec la culture extravertie du mal de vivre adolescent japonais dans une œuvre destinée au grand public. Il est parfaitement superfétatoire de considérer que Kamikaze Girls pourrait avoir une véritable dimension sociologique dans son pays d’origine, où il n’est jamais qu’une comédie adolescente de plus. Il n’en est pas de même dans nos contrées, et ce film sera donc une opportunité iconoclaste de pénétrer plus avant dans le monde de la pop-culture japonaise et de sa réalisation la plus excessive : le phénomène de l’otaku.
Déjà abordé partiellement dans Dolls et surtout dans le terrifiant Perfect Blue de Satoshi Kon, le personnage de l’otaku est celui de l’individu qui exprime son mal de vivre en calquant son existence sur une figure emblématique. Ainsi, le phénomène du cosplay – pratiqué depuis relativement peu de temps en France – offre aux passionnés la possibilité de se vêtir par leurs propres moyens comme leurs idoles, et de s’exhiber dans des concours très populaires. C’est le règne complet de l’apparence, doublé d’un facteur de solitude.
C’est ainsi que le personnage de Momoko est paradoxal : elle est toute apparence, grandiloquence, agression vers l’extérieur dans un habit qui rejette toutes les conventions modernes – et particulièrement celle de l’habit pratique, celui dans lequel il est permis d’exister par le travail et la réussite professionnelle. Dans le même comportement, elle choisit de s’offrir au regard du monde, de sortir de la masse, mais en rejetant ce monde complètement. Finalement très proche de l’idéal dandy d’un George Brummell, elle n’offre qu’à elle-même ce plaisir de l’apparence, et l’enjeu de sa progression dans le film est de savoir : son amitié pour Ichigo va-t-elle lui faire abandonner la solitude, dans la grande tradition du film initiatique se situant dans l’adolescence ?
Ichigo, quant à elle, fait montre d’un comportement plus traditionnel : le classique rejet de la société qui fit les punks en Occident transparaît dans ses extravagances vestimentaires et sociales. Elle ne recherche pas la solitude, mais se construit une armure contre les agressions d’une société qu’elle n’accepte plus. Cependant, elle cède dès le premier instant à la tentation de pouvoir rentrer dans les rangs de la normalité, même si elle refuse de se l’avouer. Momoko, sous ses dehors plus angéliques et doux, est donc bien plus extrémiste, et constitue un personnage difficile, qui refuse la société non pas en recourant à la violence, mais en se focalisant sur le soi.
Comme ses héroïnes, et comme le monde stérile qu’il dépeint, Kamikaze Girls va toujours plus vite, droit dans le mur et avec le sourire. Délirant, iconoclaste, grandiloquent, extrême, le film, tel Momoko, se moque du regard du spectateur. Comédie adolescente graphique, bête et très drôle, le film laisse percer en filigrane les angoisses de ses jeunes protagonistes. Ce n’est certes pas fait avec un grand professionnalisme, ni avec les actrices les plus confirmées, et encore moins avec le meilleur goût. Quand bien même : Kamikaze Girls reste une ode à l’anarchie délirante, et inoffensive.