Dernière virée des Belges au cinéma, Kill Me Please est un OFNI (Objet Filmique Non Identifié) réalisé par l’homme qui compte l’improbable Snowboarder dans sa spectaculaire filmographie. Point de cascade ici, mais toujours beaucoup de neige, cette pochade affiche tous les dehors de ce qu’un critique inconnu a nommé, un jour d’amertume, la « belgisation du cinéma français ». Sous sa forme d’apéritif salé, Kill Me Please n’est peut-être pas voué à l’aura culte de C’est arrivé près de chez vous mais saura offrir une heure et demi de sombres facéties.
Le noir et blanc (superbe ici) remis au goût par la frange comique du cinéma franco-belge a permis d’authentifier une fabrique de films à l’humour noir, qui aurait recueillie sur le bas-côté les losers et autres marginaux abandonnés des écrans français. C’est en tout cas l’image folklorique que nous renvoient ces comédies enlevées et, dans la rivalité pacifique qui les oppose à la production comique hexagonale, la caricature qu’elles cherchent à nous faire avaler. Chacun dans ses retranchements, il faut parfois avouer que l’excès de caricature des deux camps produit des pellicules rattrapées par la grosseur de leur trait. S’il est inutile de cerner la production française, il se peut que la faiblesse franco-belge tienne à son goût largement prononcé pour une esthétique glauque. La force qui contrebalance cet exotisme chargé, et que les Gaulois devraient envier, tient à son humour déjanté et l’admirable penchant pour l’absurde qui s’y adjoint. Tout cela peut donc offrir, pour le pire, des pellicules d’une insondable pauvreté (Little Baby Jesus of Flandr vu à Cannes) ou, pour le meilleur, des road-movie flamands à la conduite souple (Eldorado de Bouli Lanners).
Petite famille où l’on imagine les acteurs fréquenter les mêmes tripots, le cinéma comique belge (et le parent proche grolandais) a pris l’habitude de se réunir en famille et de se gargariser d’apparitions décalées. C’est ici Benoit Poelvoorde qui pénètre le manoir d’une clinique isolée alors que, dehors, la forêt s’enveloppe d’un manteau neigeux. S’il n’est passé inaperçu les déboires imbibés et les tentations dépressives du fanfaron belge, la séquence s’avère un régal. Poelvoorde ne se cache pas ici de jouer le rôle d’anonyme qu’il reprend dans la vie lorsqu’il quitte les feux de la rampe. Au bout du rouleau, il se présente alors au directeur d’une clinique qui recueille des renonçant et des suicidaires qui veulent en finir avec leur chienne de vie. Le trublion balancera à une infirmière pleine de compassion un juste « Ne m’obligez pas à vous faire une blague » avant de s’enfermer à jamais dans les toilettes. D’autres patients suivront (dont l’impayable Bouli Lanners) et formuleront un ultime vœu avant de boire la potion magique. Tous auront envoyé au préalable une « vidéo de motivation », auront déboursé une rondelette somme (certains, malins, ont opté pour le crédit) et seront plus tard invité à suspendre leur noir dessein. C’est du moins en ces termes que s’exprime le directeur (Docteur Krüger) de cette bâtisse à l’entreprise tenue secrète.
Il y a, à l’évidence, comme un danger à mettre en scène des personnages dépressifs. Même si certains films se méritent et valent plus que d’autres, toute l’entreprise consiste à éviter de glisser du portrait de la dépression vers le film déprimant, plombant. C’est sans doute ce qu’a réussi à imposer Fatih Akin dans son énergique et tonifiant Head-On. Le registre comique de Kill Me Please permet lui de dépasser cet écueil en servant force saynètes et en ficelant nombre collisions entre des personnages bien siphonnés. Ici le gag se joue sur la motivation des personnages et leur abnégation à vouloir en finir… Les personnages apportent dans leur valise un vœu de décès, une ultime extravagance qu’il s’agira de satisfaire avant la grande faucheuse. La circulation entre tout ce petit monde permet alors d’organiser toutes sortes d’écarts et de combler parfois les creux où le carburant cocasse risque de dégouliner d’un moteur en surrégime absurde. Et si la petite (ou mineure) forme du cinéma belge fonctionne toujours sur un goût de la surface et une forte caractérisation, il est toujours laissé au crescendo farfelu du scénario le soin de forcer tous ces types à la radicalisation. C’est là toute la limite (complaisante) du cinéma belge et ce qui peut faire de lui un humble compagnon où le rire et la dérision œuvrent toujours à alimenter et dépressuriser le sombre tableau de la fiction.
L’atout de Kill Me Please tiendra au fait que son dispositif comique va déborder vers une sorte de chasse à l’homme loufoque et gore. Grand moment absurde, les patients, menacés par des autochtones qui refusent le voisinage de la clinique, vont devoir sauver leur peau. Le basculement poussera les patients dans leurs retranchements et tous seront bientôt confrontés à la peur de mourir. La pirouette broie alors le sérieux du pitch inaugural (l’euthanasie) et impose l’action (l’instinct de survie) comme seul moyen de recouvrir la vie et de lui faire la nique.
Quant à la production comico-belge, il est encore trop tôt pour dire si elle saura dépasser ces amusantes gaudrioles ou si elle n’est vouée qu’à répercuter les mêmes schémas et de peut-être lasser à force d’exploiter son humble et petit filon ?