Kings : le titre du nouveau film de Deniz Gamze Ergüven évoque autant le nom de Rodney King, dont le passage à tabac en 1991 par quatre policiers finalement acquittés avait embrasé les rues de Los Angeles, qu’il n’annonce la célébration de corps, ceux des jeunes Afro-Américains recueillis par Millie (Halle Berry). Le film court de fait deux lièvres à la fois, comme déjà Mustang : d’une part il s’attache à creuser une question sociétale, ici le racisme, par le truchement des émeutes de 1992 dont le souvenir fut ravivé par le mouvement « Black Lives Matter », de l’autre il brosse le portrait d’un groupe dont les visages beaux, jeunes, irisés par la lumière printanière qui les glorifie, constituent l’atout séduction premier de la fiction.
Or, plus encore que pour son premier film, Gamze Ergüven voit sa stratégie d’entrelacement entre le sociétal et l’intime court-circuiter chacun des deux pans : les pistes sentimentales et affectives n’en apparaissent que plus gênantes (mention spéciale à un improbable rêve érotique) tandis que la réalisatrice donne l’impression d’injecter artificiellement des enjeux émotionnels (retrouver les enfants, sauver tel adolescent blessé) dans cette guérilla urbaine platement restituée. De fait l’horizon discursif du film se résume à cette grossière collure sur laquelle s’ouvre la fiction : la tête ensanglantée de Latasha Harlins, adolescente tuée dans une supérette en mars 1991 par la gérante de l’épicerie (qui sera condamnée à une peine ridiculement basse), est raccordée à une coulée de lave qui à son tour se fond dans le panorama de Los Angeles et annonce ainsi l’éruption à venir. Une fois ce lien de causalité posé, à quoi s’attelle le film ? La même chose que Mustang : à dessiner les contours d’une forme de résistance mignonne et bien brossée (les gamins, attendrissants ou tristes quand il faut, mais dont les traits de caractère n’en demeurent pas moins soumis à l’impératif d’un récit balisé). À noter, pour finir, que si les bambins s’en sortent bien dans cette logique séductrice, on n’a probablement jamais vu Halle Barry (cf. la scène, involontairement ridicule, où elle tente d’écraser un cafard) et Daniel Craig (dont le personnage n’a ni queue ni tête) à ce point en roue libre.