« Un Virgin Suicides à la turque » est l’expression que l’on a le plus murmurée à la sortie de la salle de la Quinzaine des réalisateurs pour qualifier Mustang, premier film de la réalisatrice Deniz Gamze Ergüven. On retrouve effectivement le destin tragique de sœurs adolescentes belles et rebelles. Contre une éducation tyrannique et hypocrite qui cherche à enferrer toute manifestation de sensualité, elles font corps pour s’affirmer. Il y a bien une tendance chick movie dans cette obstination à affirmer la singularité de son corps, et la réalisatrice filme assez joliment les éclats de liberté qui ouvrent le film. Filmées comme une grappe humaine, elles se pelotonnent dans leur lit, ou font des roulades. Un travelling magnifique les suit, courant le long de la mer, riant avec des garçons de leur âge, grimant sur leurs épaules. Le décalage entre l’innocence de cette scène et l’interprétation sexualisée qu’en feront ses témoins pose le clivage qui sépare ces filles qui aspirent à la liberté des conventions rigides qui régissent le village du nord de la Turquie dans lequel elles vivent.
Alors que la grand-mère et l’oncle cherchent à enfermer les cinq orphelines, le film décline tous les tabous liés à la sexualité. On imagine combien a été difficile le tournage de ces scènes-là dans le lieu précis, tout comme de caster ces cinq jeunes actrices. La pratique de la sodomie chez des jeunes filles pour qui se présenter vierge le jour de leur mariage est une question d’honneur, la visite à l’hôpital le soir même des noces pour celle qui n’a pas pu présenter des draps ensanglantés, le guide hors d’âge présenté par la grand-mère en guise de toute réponse. Et surtout, le mariage apparaît aux deux tuteurs des filles comme la seule solution pour brider leur désir d’avoir un corps. Les prétendant se succèdent, venant prendre avec leur famille le thé et les gâteaux que les sœurs servent plus ou moins docilement. La belle idée du film est de se focaliser sur le point de vue de la plus jeune sœur, celle qui reste, et de faire disparaître les aînées à mesure qu’elles se font épouser, les transformant en fantôme dès lors qu’elles passent sous la coupe d’un homme. On peut déplorer que le film ne parvienne pas toujours à donner à sentir l’enfermement et ne l’assène trop par des exemples redondants avec une voix off qui recouvre un scénario un peu convenu et cadenassé derrière quelques moments de grâce. Un Virgin Suicides à la turque ? Oui, c’est bien cela.