Comment filmer ce qui, précisément, ne se voit pas ? C’est la première question soulevée par Kongo, qui suit les activités du prêtre Médard, un guérisseur capable, selon ses dires, d’interagir avec des esprits invisibles. Au début du film, le prêtre observe par exemple l’intérieur d’une bouteille remplie de terre dans laquelle se trouverait une sirène, ou bien extrait par succion des morceaux de métal nichés à l’intérieur de la jambe d’un de ses patients. Le film de Hadrien La Vapeur et de Corto Vaclav semble tout d’abord suivre cette première piste passionnante, et se pose pour défi d’enregistrer, sans faire preuve de condescendance ni d’exotisme (comme nous l’avions souligné lors de sa présentation à Cannes), le dialogue que nouent les habitants de Brazzaville avec le surnaturel. La manière dont il s’y prend laisse toutefois entrevoir une première impasse : à vouloir retranscrire au plus près de l’action une cérémonie invoquant une mère défunte, les cinéastes ne semblent plus savoir où se placer pour filmer le rite sans encombre, à tel point que les corps en mouvement finissent par entrer en collision avec la caméra. Les mises en scène de Médard et de ses proches poussent ainsi le film à adopter une forme souvent relâchée, proche du reportage télé (alternance de gros plans et de caméra portée). Tiraillé entre ces velléités documentaires (capter l’organisation d’une cérémonie) et un penchant fictionnel proche du fantastique (avec récits de malédictions et de revenants), Kongo se dilate encore plus à mesure qu’il suit le procès du prêtre Médard, accusé de pratiquer la magie noire et d’avoir par conséquent causé la mort de plusieurs enfants, mais aussi les dangers qui pèsent sur la culture locale, dus à l’exploitation des ressources congolaises par des entreprises chinoises.
Une séquence-clé, située au cœur du film, réunit ces différents pôles et témoigne des limites de cette structure en trois strates (fantastique, judiciaire et géopolitique). Médard se rend sous une cascade pour demander les conseils d’une sirène, un puissant esprit qui pourrait lui venir en aide en vue de son procès. En premier, un très beau plan fixe : le prêtre, filmé à distance, s’adresse aux chutes d’eau. La sirène peut encore possiblement exister, le surnaturel trouvant ici une terre d’accueil dans le hors-champ, juste derrière ce rideau aqueux qui sépare le mythe du monde réel. Dans le plan suivant, la caméra, en mal de visible, passe sous la cascade et prend la place de la sirène, non loin du prêtre qu’elle filme désormais de très près. À l’issue de sa « prière », Médard est ensuite rappelé au pragmatisme de la matière : la sirène, pour lui venir en aide, lui aurait à son tour demandé de lui rendre un service en pointant la destruction imminente de la cascade. Dans une mauvaise posture, le prêtre est contraint de reconnaître le lien étroit qu’entretiennent les esprits avec le monde tangible (sans eau ni cascade, plus de sirène), et par là de politiser peu à peu sa croyance. Une telle trajectoire accouche d’un film inabouti, qui manifeste un intérêt passager pour l’invisible mais lui préfère au fond tout l’inverse : le corps de Médard plutôt que les esprits qui l’entourent, les regards inquisiteurs de figures judiciaires, les tractopelles retournant la terre pour en extraire du minerai. Chaque piste n’est alors que partiellement développée, la faute à une accumulation d’enjeux enserrés dans un format plutôt bref (le film dure 1h10), qui laisse définitivement un goût d’inachevé.