Le deuxième long métrage de Fabrice Genestal, réalisateur il y a dix ans de La Squale, est une œuvre a priori ambitieuse, ne serait-ce que par son sujet : combien de réalisateurs français choisissent aujourd’hui de s’attaquer de front au pouvoir, politique ou, comme ici, économique ? Malheureusement pour lui (et pour nous), le discours de Krach n’est clairement pas à la hauteur d’un tel sujet, et le film se réduit bien vite à un divertissement honnête, mais maladroit.
Erwan Kermor (sic), un jeune trader français aux dents longues, ronge son frein dans une grande banque new-yorkaise où il ne sent pas reconnu à sa juste valeur. Découvrant un jour une possible corrélation entre les courbes des fluctuations boursières et des graphiques de l’évolution des températures terrestres, il convainc une jeune climatologue de l’aider à mettre au point une formule mathématique pour prédire l’évolution des marchés.
Tourné en grande partie à Montréal, Krach présente tous les tics du film français qui se rêve un destin international. Fabrice Genestal filme à l’américaine : linéarité, lisibilité et psychologie réduite au strict minimum. Le résultat est globalement sobre et carré, mais une mise en scène assez plate peine à le distinguer du tout-venant. L’efficacité du thriller est notamment parasitée par certains effets mal dosés : la musique oppressante est un rien trop insistante, les scènes de journal télévisé sont assez peu plausibles, et l’orage qui éclate – très opportunément – au moment le plus dramatique, risque moins d’impressionner le spectateur que de le faire sourire. Quant aux scènes de chute libre, si elles permettent d’aérer un film par ailleurs confiné dans des intérieurs fonctionnels et dépouillés et des paysages urbains gris et déshumanisés, elles servent surtout à illustrer un peu trop littéralement la psychologie du héros, sommairement réduite à son seul « amour du risque ».
L’absence de finesse dans la caractérisation des personnages est d’autant plus dommageable pour le film que les acteurs peinent à leur donner chair. Avec son air de rugbyman sanguin, Gilles Lellouche pouvait paraître un bon choix pour interpréter un jeune loup de la finance, mais son jeu manque cruellement de subtilité. En face de lui, Vahina Giocante est gentiment décorative, tout comme Michael Madsen qui se contente de promener sa dégaine de prédateur fatigué avec une classe qui finit par se confondre avec de la désinvolture. Quant à Charles Berling, il fait deux petits tours et puis s’en va.
Ainsi, s’il se laisse suivre sans déplaisir, Krach n’est pas des plus convaincants au seul niveau formel. Le film pourtant promettait beaucoup en s’emparant d‘un sujet à la fois complexe et brûlant, moins de deux ans après l’éclatement de la scandaleuse crise des subprimes. En réalité, le scénario s’inspire d’une affaire un peu plus ancienne, mais qui n’est pas sans lien avec la situation que nous connaissons aujourd’hui : en 1998, la faillite de LTCM, un fonds spéculatif qui avait accumulé un capital presque aussi important que le PIB de la France, avait (déjà !) failli entraîner la chute du système financier international. Fabrice Genestal s’est visiblement documenté sur cette affaire et sur l’univers des salles de marché – son coscénariste Paul Besson est lui-même trader. Présentant une vision crédible et détaillée de ce milieu, Krach ne fait pas l’impasse sur la dangerosité des pratiques de certains spéculateurs, ni sur leur sentiment de totale impunité, ni d’ailleurs sur leur consommation de drogue ou sur leur virilisme agressif. Si les (rares) femmes sont à peu près épargnées (la climatologue amoureuse et surtout la « tradeuse » lucide, personnage complexe et passionnant auquel le film aurait gagné à plus s’intéresser), les autres protagonistes sont profondément antipathiques : mégalomanes, arrogants, superficiels et hargneux.
Le film se laisse pourtant séduire par l’univers de ces personnages, jusqu’à sembler par moments partager leur fascination pour le fric et la réussite. C’est peut-être le pari (audacieux mais intenable) de réaliser un thriller grand public qui explique cette dérive : pour rendre haletant un récit qui se déroule exclusivement dans un univers froid et aseptisé, et dont les ressorts restent relativement conceptuels et abstraits, le film tente de faire partager à ses spectateurs les frissons qui animent le personnage principal. Genestal ne peut d’ailleurs s’empêcher de trouver des excuses à son « héros », de lui conférer un certain panache : moins caricaturalement beauf et tyrannique que ses collègues et concurrents, Kermor est avant tout présenté comme un naïf qui se laisse enivrer par le pouvoir et le goût du jeu, plutôt que comme un cynique ou un authentique salaud.
En attribuant la crise aux erreurs d’individus isolés, moins malhonnêtes que trop exaltés, les auteurs se retrouvent à dédouaner, l’air de rien, un système par nature instable et carnassier, et avec lui toute la caste dont la prospérité est liée à sa préservation. Les scénaristes en viennent également à propager une fiction trop courante (et très commode, si l’on se place du point de vue des puissants) : en montrant le « marché » comme un grand casino déconnecté de l’économie réelle – et donc des conditions d’existence des citoyens – le film finit par laisser entendre que ce sont les banquiers et les hommes d’affaires richissimes qui sont les principales victimes d’un krach boursier !
Fabrice Genestal fait pourtant preuve d’une certaine lucidité quand, dans le dossier de presse, il relève que « la violence des jeunes des cités évoqués dans La Squale n’est que la réponse à une violence sociale et institutionnelle beaucoup plus insidieuse. » Mais le réalisateur semble avoir échoué (ou renoncé ?) à mettre en lumière cette relation pourtant cruciale dans son nouveau film. En se privant de tout contrechamp, et en omettant de rappeler au spectateur que c’est lui-même qui sera toujours appelé à payer pour les « erreurs » des Kermor/viel et consorts, Krach se condamne, au mieux, à l’innocuité, et au pire à nourrir la mythologie qu’il entendait pourtant déconstruire.