Le comédien-producteur-réalisateur-slameur Sanvi Panou suit la campagne de la première candidate aux présidentielles béninoises. Le discours de Marie-Élyse Gbédo se veut porteur de justice et de développement. À chaque meeting, l’accueil semble plus que chaleureux. Mais ciblé sur Gbédo, le documentaire éclipse les autres candidats et le contexte propre au pays. Dans ces conditions, difficile de se faire une idée exacte de la situation et de ne pas faire une mauvaise comparaison avec la période électorale française de 2007.
À quelques jours des élections, alors que les médias nous assènent une campagne présidentielle voulue spectaculaire, le cinéma paraît se calquer sur cette actualité étirée. Difficile pourtant de distinguer qui dans l’industrie du cinéma oriente le plus cet alignement. Sanvi Panou, le réalisateur de L’Amazone candidate, a décidé de tourner ce film en 2001. Mais, lorsque dans un entretien, il parle de « coïncidence » entre son sujet et la date de sortie française du film, le mot fait sourire. Le Candidat, Ségo et Sarko sont dans un bateau, Élysez-moi ! et En avant marche !, documentaires et fictions abondent sur le sujet, plus ou moins proches les uns des autres et rarement aussi acides qu’ils aimeraient le faire croire.
Mais L’Amazone candidate ne se contente pas d’un lien avec la campagne française. Il renvoie directement à la lutte des candidates françaises à l’élection présidentielle dont Marie-Élyse Gbédo est l’unique homologue béninoise. Après une première tentative en 2001, c’est avec plus d’espoir qu’elle battait la ville et la campagne en 2006, période pendant laquelle les images ont été tournées. Les cinéastes filment la politique depuis longtemps pour révéler avec plus de recul que les journalistes les hommes ou les systèmes politiques. De Richard Leacock (Primary) à Depardon, Pierre Carles ou plus récemment Alex Cooke, l’élargissement aux films devenant eux-mêmes campagne permettrait de constituer une liste à tiroirs avec à l’intérieur des œuvres inégales dans leurs intentions. Plus ou moins réussies (du Cuirassé Potemkine à Soy Cuba) et pragmatiques (Michael Moore évidemment). Le cinéma qui réfléchit sur la propagande s’en fait souvent le miroir. Sanvi Panou n’affiche pas ouvertement la volonté de servir celle qu’il filme même s’il reconnaît l’admirer. Cette ambiguïté sur l’intention du réalisateur rend méfiant, bien qu’elle soit intéressante par la réflexion qu’elle implique sur l’importance du dispositif et de la mise en scène dans le documentaire. C’est ce qui donne sa puissance au discours, ou peut le discréditer, quel qu’il soit. Une ambiguïté magnifiquement rappelée par ABC Colombia, de Enrica Colusso. Rien pourtant dans L’Amazone candidate ne semble prévu pour inspirer la méfiance face à Gbédo. Rien sinon cette absence de positionnement et un quasi-désert sur les autres candidats. Ils sont des hommes, c’est à peu près tout ce qu’on saura.
Passées quelques minutes, la curiosité ou l’exotisme laisse place à la question qui embrume L’Amazone candidate : ce que cherche à montrer Sanvi Panou. Film sur des élections libres et démocratiques au Bénin ? Sur la campagne d’une femme ? Film de campagne ? Un peu de tout ça, peut-être le reflet de l’indécision du réalisateur, le reflet aussi d’un panel de médias français dont le traitement de l’information fluctue tout autant que les candidats à la présidence. Le portrait de cette femme ne se suffit pas à lui-même, il dépend trop du contexte d’un pays mal connu.
Cadrer la quasi-totalité du film sur Marie-Élyse Gbédo pose le problème de faire du pays tout entier un vaste hors-champ dont on ne saura rien d’autre que ce qu’en dit la candidate. D’où la difficulté du sujet, son intérêt aussi comme défi cinématographique : comment évoquer une situation précise sans s’éparpiller et quand les spectateurs ignorent tout de l’autour ? D’autant plus qu’une élection joue forcément sur le transfert constant de l’individu au collectif et du collectif à l’individu. C’est le problème que rencontrait déjà Sisters in Law. Les deux femmes, centre du film, tellement bonnes, sages et droites, perdaient une part de crédibilité par l’absence de contrepoids et de contexte. Au-delà même de l’enjeu politique, du regard de Panou et de ce qu’il veut transmettre, détecter les particularités d’une campagne présidentielle béninoise féminine par rapport aux candidats masculins s’avère difficile. Dans une agréable volonté de montrer une autre Afrique, Panou filme la danse comme un aspect important de la campagne électorale. Partout où Gbédo pose les pieds, musique, chants et danse sont au rendez-vous. Reste à interpréter cet accueil, ce qui peut cette fois vite revenir à faire une mauvaise comparaison avec la France. Le film de Sanvi Panou doit nous pousser à réfléchir sur le rôle des femmes et le maigre espace dont elles disposent pour s’imposer face à la scène politique masculine. Si cette condition est malheureusement valable sur tous les continents, la similarité s’arrête là. Et si les arts doivent évidemment s’imprégner de la réalité, il serait bon que la logique événementielle qui orchestre la presse ne se répercute pas strictement sur le cinéma et sur le fonctionnement de son industrie.