John Paul Lepers a suivi deux des présidentiables pendant trois mois à un moment clé de leur carrière politique respective. La forme n’évite malheureusement pas les facilités en privilégiant la confrontation plutôt qu’une analyse approfondie des phénomènes de communication que sont Royal et Sarkozy. Mais en 52 minutes chrono, Lepers s’est donné pour objectif de montrer sous un nouveau jour deux des principaux candidats à la présidentielle 2007. Le résultat, sans grande surprise, rappelle cependant combien la question démocratique est en jeu pour ces élections présidentielles.
En 2004, lorsque John Paul Lepers décide de suivre pendant trois mois le quotidien de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy, ces derniers sortent tous deux d’un succès politique sans précédent : Ségolène Royal vient de remporter le fief de Jean-Pierre Raffarin (alors Premier ministre) aux élections régionales tandis que Nicolas Sarkozy, ministre du gouvernement, est « sacré » à la tête de l’UMP par 85% des militants, un score historique. Dans un paysage politique sinistré par les résultats du premier tour des élections présidentielles de 2002, tous deux se sont naturellement posés comme les candidats du renouveau, matérialisant cette fameuse rupture, un terme qui à force d’être rebattu, ne veut finalement plus rien dire. Mais le secret de deux des présidentiables les plus sérieux de 2007, c’est justement cette maîtrise quasiment parfaite de la communication où l’image prend définitivement le pas sur les idées et les convictions personnelles. C’est ce que tente de mettre en exergue John Paul Lepers en montrant l’ambivalence des rapports que les deux candidats entretiennent avec la caméra, leur image et leurs électeurs. Plutôt que de s’interroger sur le fond (les idées, le programme, les prises de position), le réalisateur s’est avant tout intéressé à la femme et à l’homme pour qui le pouvoir serait devenu cette obsession qui aurait progressivement supplanté le réel désir de servir la France et les intérêts des Français. Du coup, on peut lui reprocher de jouer le même jeu – la médiatisation par l’image – que ceux qu’il tente de démasquer. Si les candidats savent comment jouer pour sortir vainqueurs des élections, John Paul Lepers sait que l’accroche un peu télé-réalité fera son effet auprès de son auditoire.
À propos du contenu même des deux dvd, la première différence fondamentale qui existe entre les deux reportages – et donc entre les deux personnages politiques –, c’est la place que chacun décide d’occuper devant la caméra de Lepers. Si Ségolène Royal est quasiment présente à chaque minute du reportage qui lui est consacré, laissant finalement très peu les autres parler d’elle ou pour elle, force est de constater que Nicolas Sarkozy évite très soigneusement la confrontation et apparaît, tout au plus, une petite dizaine de minutes, laissant ses conseillers ou encore un jeune militant surnommé « Petit Sarko » occuper tout le terrain. Ce constat est étonnant lorsqu’on sait la grande capacité du président de l’UMP à être sur tous les fronts, omniprésent sur les plateaux de débats politiques où il a depuis longtemps prouvé qu’il avait réponse à tout. Deux méthodes s’affrontent donc ici : celle de Ségolène Royal qui se montre absolument partout, fait preuve de bonne volonté pour répondre aux questions même les plus fâcheuses, use de son pouvoir de séduction pour mieux faire accepter son autorité ou joue encore la carte de la convivialité pour faire croire qu’elle est à l’écoute des plus modestes ; puis celle de Nicolas Sarkozy qui mise avant tout sur cette très haute opinion qu’il a de lui-même pour rassurer les électeurs perdus et les convaincre de lui faire confiance quoi qu’il arrive.
La caméra de Lepers n’est pas vraiment partisane même si le résultat est sans appel en faveur de Royal. Contrairement à Michael Moore et son Fahrenheit 9/11, il ne s’agit pas de dresser un portait à charge sur l’un des deux candidats, y compris Nicolas Sarkozy qui se révèle bien davantage dans la fuite que dans ses réponses. Avec patience et un certain humour, le reporter suit Ségolène Royal, au gré de son emploi du temps, sur les marchés, dans les coulisses d’une télévision où son compagnon (François Hollande) intervient ou encore lors d’un meeting en faveur du « oui » à la Constitution. Pour Sarkozy, Lepers a rencontré plus de difficultés, systématiquement écarté dès que le président de l’UMP se montre. Il faut dire que le réalisateur cherche à mettre les pieds dans le plat à chaque fois en posant des questions que l’on pourra juger parfois arbitraires et peu constructives, joue sur les nerfs du candidat de droite pour mieux le tester. Sarkozy ne lâche pas, contient toute son agressivité avec un sang-froid qui a, depuis déjà quelques années, convaincu la majeure partie de l’électorat de droite. Seule grosse ombre au tableau : lorsque devant les caméras, Sarkozy, tout juste auréolé de succès après son investiture à la tête de l’UMP, finit par lâcher, les dents serrées, que le journaliste devra adhérer au parti pour connaître ses projets, on frémit à l’idée que le favori des sondages gouverne notre pays.
Reste que pour le spectateur averti, les deux reportages de John Paul Lepers enfoncent plus de portes ouvertes qu’ils ne nous révèlent totalement la face cachée des deux candidats. En cause, la date du tournage (2004) ne met pas les deux politiques sur le même pied d’égalité puisque Royal s’effaçait encore derrière Hollande et n’envisageait pas clairement d’être la représentante du Parti socialiste aux élections présidentielles tandis que Nicolas Sarkozy jouissait allègrement de sa popularité pour se poser comme le seul candidat capable de faire oublier les douze désastreuses années du règne de Chirac. Les enjeux n’étant pas les mêmes, il est donc difficile de s’appuyer sur les deux reportages pour évaluer les velléités des deux candidats à un mois du premier scrutin. La trop courte durée des reportages donne une approche trop superficielle, façon Le Vrai Journal pour lequel Lepers a travaillé, même si certaines images ont suffisamment d’éloquence pour parler d’elles-mêmes. Seulement, n’est pas Depardon qui veut.