Premier long-métrage du réalisateur géorgien George Ovashvili, L’Autre Rive a eu droit à une grosse tournée des festivals. Sélectionné à Berlin en 2009, prix du meilleur film au festival de Wiesbaden, en compétition à Paris Cinéma, Seattle, Moscou, Rome et bien d’autres, il fait partie de ces œuvres souvent surestimées, et mises en avant par les programmateurs par pur souci de donner à voir des films dits « exotiques ».
Le récit prend pourtant place dans un contexte politique méconnu, complexe, où l’exil et la pauvreté sont monnaies courantes. Tedo est un gamin de douze ans qui a dû fuir sa province natale, l’Abkhazie, à cause d’une guerre civile faisant suite à l’effondrement de l’Union soviétique. Il vit maintenant à Tbilissi en Géorgie, et exerce en tant qu’apprenti dans un garage, pendant que sa mère se prostitue. Petit rappel historique : l’Abkhazie a déclaré son indépendance envers la Géorgie en 1992, qui refuse toujours de la reconnaître, ce qui provoque de fortes tensions entre les deux populations. Cette problématique est malheureusement envisagée de manière totalement binaire dans le film, où l’étranger est soit armé de mauvaises intentions, soit se révèle être plus tolérant qu’on ne le croyait. Lorsque Tedo décide de partir à la recherche de son père resté au pays, l’enchaînement des séquences provoque un agaçant et systématique jeu du chat et de la souris, où il faut tenter de démasquer le bon du méchant, le grognon au bon cœur du faussement gentil. La mise en scène procède de manière mécanique, laissant toujours planer l’ombre d’une menace sur le jeune héros, sans jamais vraiment expliciter les intentions des uns et des autres. La lourde lenteur silencieuse d’une scène de repas chez des russes, ou encore le sacrifice incompréhensible d’un personnage à un barrage militaire viennent mettre en avant la faiblesse du propos.
Pourtant, il existe au sein du film une idée assez originale, et de mémoire de cinéphile jamais vraiment exploitée au cinéma : mettre en scène un personnage principal qui louche constamment. Dommage qu’Ovashvili n’utilise pas réellement cette possibilité, lui préférant la logique de l’aveuglement (Tedo se couvre les yeux avec les mains lorsqu’il a peur) et du mutisme (pour ne pas être ennuyé durant son voyage, Tedo se fait passer pour muet). Tedo cherche à ne pas voir une réalité trop dure pour son âge et tente de lui échapper par le silence, ce qui produit de lourds symboles, et n’instruit en rien sur la situation des deux pays. Le voyage initiatique est décidément un type de récit beaucoup trop balisé pour satisfaire, et qui oblige le réalisateur à vouloir produire du sens à partir de chaque situation, de chaque rencontre. Et finalement, ce qui manque à L’Autre Rive, ce sont des moments de latence, où le doute peut enfin surgir, où les voyants ne sont pas allumés pour nous dire « il y a quelque chose à comprendre », ou encore « attention, message ! » En somme, le parfait petit film de festival : tourné dans une contrée lointaine et méconnue, avec comme toile de fond une situation politique trouble, mais qui n’exploite pas le potentiel de son sujet, ni des situations.