À l’approche de ses examens, la vie d’Aton, jeune étudiant, s’éparpille de façon totalement imprévue. Son plus grand trouble reste : est-il ou non, comme le suggère un incroyable récit anthropologique légué par un défunt professeur, possédé par un esprit animal vaudou ? Variation sur le thème de La Féline, le film de Djibril Glissant oscille entre audace esthétique et maladresse, sans emporter totalement l’adhésion.
Étudiant à la vie réglée, Aton voit soudainement le chaos s’immiscer dans son existence. Sa mère, chez qui il habite, quitte leur domicile pour l’étranger, sans date de retour. Son père, sorte d’adolescent vieillissant et très maladroit, revient pour habiter dans sa cité, à Saint-Denis. Par hasard, il retrouve une connaissance d’enfance, Nina, qui l’intrigue et le séduit. Mais surtout, il se trouve sujet à d’étranges crises de somnambulisme qui le laissent épuisé et désorienté. Lorsque les carnets du défunt père de Nina lui révèlent l’existence des esprits-animaux guides de la religion vaudou, le doute commence à s’installer en lui : serait-il vraiment habité par un esprit-panthère, venu des religions sud-américaines ?
C’est donc une histoire d’incrédulité, d’incompréhension, de quête pour Aton comme pour le spectateur. Où Djibril Glissant veut-il en venir avec cette Féline recadrée à Saint-Denis ? Le film même a ceci de félin qu’il tourne, tourne, et tourne autour de son sujet sans se décider à s’y attaquer.
Lorsque, finalement, il ose, toute la poésie latente de ces retrouvailles entre l’adolescent et l’animal qui est en lui ne demande qu’à s’épanouir, mais hélas… Si Grégoire Colin, qui joue le personnage d’Aton, fait des merveilles lorsque la bête finit par prendre le dessus, son jeu peut-être trop apathique au début ralentit toute la première partie du film. Romane Bohringer, elle aussi gagnée par sa part bestiale, semble de même peiner à juguler son personnage lorsqu’il est encore trop humain, à contrer les assauts du lycanthrope. Malheureusement, loin de distiller une angoisse sourde, une peur larvée, une dangereuse fascination, les errances communes de Nina et d’Aton apportent parfois l’ennui.
Se réclamant du classique Vaudou de Jacques Tourneur, Djibril Glissant aurait peut-être gagné à s’inspirer du prologue de l’onirique et macabre L’Emprise des ténèbres de Wes Craven, pour un rythme plus soutenu, une réelle mise en scène de l’homme-animal. Trop lent, donc, L’Éclaireur pourrait perdre son spectateur au fil du récit, mais malgré tout…
Malgré tout il reste Saint-Denis. Creuset des JT sensationnalistes, ville caricature à la population stigmatisée par les Rastignac sécuritaires, Saint-Denis renaît sous la caméra de Djibril Glissant. Les architectures anguleuses du quartier de la Plaine, sa population sont le terrain de jeu d’un metteur en scène qui sait valoriser au mieux les couleurs et la géométrie. Il s’agit peut-être d’un premier véritable exemple de « jungle urbaine » au cinéma, lorsque l’éclaireur lui-même, l’esprit-panthère, parcourt les allées et les toits, en quête d’une nouvelle terre d’asile. Mystérieux, poétique, riche d’aventures est le Saint-Denis vu depuis les yeux de la caméra-panthère. Dans un environnement urbain où les yeux baissés sur les trottoirs les ont usés, à force de métaphores des horizons bouchés, L’Éclaireur regarde toujours au ciel, vers les doux pastels du crépuscule qui finit par baigner le film.
Premier film urbain brillant mais trop appliqué, L’Éclaireur pèche avant tout par excès de démonstration, alors que la félinité subtile du scénario se serait sans doute accommodée d’un cheminement plus suggestif. Qu’à cela ne tienne : Djibril Glissant avoue avoir voulu confronter les mondes a priori antithétiques de la banlieue urbaine ultime de Saint-Denis et du mysticisme animal du vaudou, et le pari est en un sens réussi. Sans excès d’ambition, le réalisateur livre un film à vocation poétique, et même si la forme reste imparfaite, tous les espoirs sont permis quant à la suite de sa carrière.