Michele, dix ans, vit dans un petit village des Pouilles au sud de l’Italie : quelques couples, dont ses parents et des animaux, et l’immensité des champs de blé qui entourent les habitations. Si la misère et la médiocrité des sujets sont visibles, on adopte rapidement le regard émerveillé du réalisateur pour son héros. Au hasard des lumineuses brindilles des blés, on entre avec Michele dans son expérience intérieure vers la liberté, au travers de la curieuse amitié qui va le lier à Filipo, un jeune garçon retenu prisonnier par la communauté.
Les premières images donnent le ton du film de Gabriele Salvatores : quelques rochers qui montent vers le soleil. Car il s’agit bien d’une ascension, pour Michele et son entourage. Un peu perdu dans les images topiques de l’enfance qui n’en sont pas moins vraies, il désobéit, traîne sa sœur Marie comme une boulet, joue à se faire peur. Mais l’œuvre italienne ne se résume pas à une simple chronique d’enfance ou à une simple description du monde rural. C’est dans l’esprit de Michele que le réalisateur à puiser sa force dramatique : le jeune homme se récite des passages d’un livre qu’il lit le soir à la lampe de poche, et découvre un secret des grands qui va lui permettre d’entrer dans leur monde en en changeant la donne. Le monde de l’enfance devient alors celui du renversement : il n’y a pas de tenants adultes de la responsabilité ou des valeurs morales, c’est le regard puéril, le désir de découverte, en un mot, l’innocence qui semble être ici un pilier social et humain. Le village ne vit en outre que par ses habitants les plus jeunes : seules ces derniers sont en mouvement, jouent, parlent, se battent. Dans l’épicerie, la vendeuse est aussi inactive que les « Bonnes Femmes » de Chabrol, et les parents parlent, crient parfois, sans agir ou plutôt sans jamais donner de réponses. La représentation du possible se retrouve dans celle du jeu, non du devoir.
Ainsi Michele trouve-t-il un être caché, attaché, dont on ne peut tout d’abord distingué ni le visage ni l’apparence générale : au fond d’une trappe, dans le noir complet, l’endroit ressemble fort à une caverne allégorique. D’autant plus que l’enfant ne supporte pas le soleil. L’intérêt réside dès lors en l’absence momentanée d’explication : chacun se trouve là sans explication et les deux enfants deviennent amis. L’un encore lié un monde irréel et mensonger, l’autre attaché à un pieu. Ils se trouvent et se libèrent mutuellement de leurs captivités physique et sentimentale. Filipo apprend à voir la lumière de ces yeux douloureux, fermés depuis trop longtemps et à revivre grâce à l’amitié que lui témoigne Michele : il croit être au royaume des morts et ne sortira de sa grotte que pour éblouir (dans tous les sens du terme) à son tour celui des vivants. Quant à Michele, s’il ne délivre pas son compagnon immédiatement, profitant de la situation pour exercer sa première autorité, il parviendra à surpasser son comportement, reproduction de celui des grands, grâce à Filipo. Pour que chacun devienne un être unique. Si les plongées en caméra subjective du point de vue de Michele inspirent les prémices du film, le regard du réalisateur se pose progressivement à la hauteur des deux enfants, comme pour signifier leur rapprochement, leur égalité. C’est finalement une histoire d’amour entre deux petits garçons, sans désir ni envie, une histoire de gratuité.
Les vastes panoramas sur les champs de blé ne peuvent que faire entrer le spectateur dans le couloir de lumière progressif qui s’avance au fur et à mesure des scènes. La nature, toute entière liée au sort de Michele, rythme parfaitement les mouvements de l’âme du petit héros : tantôt radieuse et accueillante, tantôt hostile et perturbante. La seule ombre au tableau se trouve dans l’excès d’émotion voulu par la musique et la scène finale : certes, deux enfants s’aident mutuellement à entrer dans la compréhension du monde et des sentiments qui l’animent. Mais on ne trouve aucune raison aux violons incessants et aux gros plans finaux. Que cela ne gâche cependant pas le plaisir des yeux et de l’esprit : devant tant d’immensité géographique, les plans d’ensemble n’étant pas le moins du monde étouffants, loin de là, devant tant de grâce et de légèreté dans la poursuite de Michele, on en sort tout de même grandi.