Amoureux transi de la plus jolie fille de son école, souffre-douleur de ses camarades, le jeune et introverti Michele se découvre un jour le pouvoir de se rendre invisible… Ainsi commence le nouveau film de Gabriele Salvatores, comme pas mal d’autres récits fantastiques produits pour la jeunesse — et même pour les plus grands, puisqu’il s’agit précisément d’un film de super-héros (italien, donc), et que cette présentation fait un peu beaucoup penser à celle d’un certain Peter Parker, alias Spider-Man… Et ce n’est que le début. Outre des emprunts à d’autres super-héros (comme cette organisation d’humains mutants de type X‑Men qui est à la recherche du garçon, ou encore un clin d’œil lumineux à Batman…), Le Garçon invisible s’ingénie à compiler des situations-types du genre : la revanche sur les bourreaux, la révélation du « grand-pouvoir-qui-implique-de-grandes-responsabilités », la fibre justicière qui vient, l’acquisition d’un costume…
L’idée d’un film de super-héros italien n’est pas si saugrenue que cela peut paraître : l’Italie a déjà un super-héros de bande dessinée, le très incompétent Rat-Man conçu essentiellement comme une parodie des comics. Le Garçon invisible compte, lui, prendre le genre très au sérieux — intention sympathique, mais qui le serait encore plus si le film se risquait à autre chose que cette simple et sage entreprise : reconstituer un spécimen-type de film de super-héros. Hélas, aucune valeur ajoutée n’est à signaler dans les interstices des passages obligés : rien qui, par exemple, rendrait les personnages intéressants au-delà de leurs moteurs psychologiques transparents et de leurs éventuels super-pouvoirs, aucun regard marquant sur le statut de marginal allant de facto avec « l’anomalie » — tout au plus a‑t-on droit à quelques scènes humoristiques à l’effet fugace et à une série invraisemblable d’effets de manche scénaristiques. Pourtant, sur le papier, Salvatores avait au moins deux cartes à jouer dans cet exercice. D’une part, il a signé quelques portraits de l’adolescence (on pense à L’Été où j’ai grandi). D’autre part, il a trempé une fois dans un genre fantastique propice à lâcher la bride de l’imagination basée sur le contexte contemporain : Nirvana (1997), exercice d’anticipation cyberpunk sans doute un peu daté aujourd’hui, mais qui avait tout de même de la ressource. D’où une déception accrue de voir ce réalisateur ici incapable d’insuffler quelque âme dans son travail de copiste.
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Tout se passe comme s’il s’agissait seulement de prouver qu’on pouvait dire « super-héros » en italien, de faire rentrer ce genre d’origine américaine dans le cadre local avant de l’offrir au public (surtout au jeune public). Sur le plan commercial au moins, c’est réussi : Le Garçon invisible a bien marché dans son pays, au point d’engendrer des suites en BD et même en romans (aucune nouvelle d’un autre film, cependant). Pour le reste, on lui sait gré d’accomplir sa tâche sans la moindre trace d’opportunisme ou de prise de hauteur malvenue. Mais on continue de voir, dans cet avatar, tout ce qui manque des modèles originaux. Il y a matière à débattre sur l’industrie actuelle des films de super-héros qui triomphe à Hollywood, sur ses apports, ses oublis, sa paresse — dans notre rédaction même, le débat est ouvert, on en reparle cette semaine à l’occasion de la sortie d’Ant-Man. Mais on ne leur enlèvera pas leur capacité — leur volonté, en tout cas — à donner une vraie matière à leurs personnages, à ce qui les écarte de la normalité : non seulement ce qui les place au-dessus du commun des mortels (super-pouvoirs, super-matériel, etc.), mais aussi ce qui les rend humains dans des dimensions que nous ne nous avouons pas toujours, justement parce qu’eux se sont écartés de la norme. Une matière que l’on voit exprimée, selon l’approche des équipes de production, à travers l’esprit de sérieux, l’humour et le second degré, les interactions modestes ou les grosses batailles à grand renfort de numérique… Quant au Garçon invisible, sa lacune terrible est de ne pas plus se lâcher pour faire de sa matière autre chose qu’une déclinaison de produits dérivés.