Il est fort rare de voir en un même film un père et un fils, deux auteurs, l’un au scénario, l’autre à la caméra, l’un au montage, l’autre à l’image. Et d’autant que ces deux Babluani-là ont chacun reçu diverses récompenses à travers le monde, l’un pour 13 (Tzameti) (2006) dont le tournage version Hollywood est prévu pour le printemps 2007, l’autre pour Le Soleil des insomniaques (1993) notamment Ours d’argent au festival de Berlin. Et voilà que L’Héritage a l’insigne mérite de mettre côte à côte deux tempéraments, deux générations, deux regards. Mais ce mérite et cet intérêt marqué s’estompent trop rapidement : L’Héritage n’a pas hérité du talent combiné de leurs auteurs.
Patricia (Sylvie Testud), accompagnée de deux amis, part à la recherche de ses origines en pleine Géorgie. En prenant un simple bus, les voici propulsés dans une histoire qui ne devait surtout pas les concerner : un jeune homme (George Babluani), son grand-père (Léo Gaparidze) et un cercueil montent à leur tour dans l’autocar et déstabilisent ces innocents et inconscients Français. Suite à une légendaire querelle entre deux clans rivaux, le vieux monsieur doit être sacrifié et assassiné symboliquement après avoir traversé un pont (rivière, Styx, au-delà, Enfers, etc.). Céline (Olga Legrand) et Jean (Stanislas Merhar) souhaitent alors filmer le meurtre.
La violence est ainsi dès l’abord le fil conducteur de L’Héritage et la vision donnée de la Géorgie n’a rien d’un conte de fées. Même le château hérité par Patricia est une ruine désolée. Aucune lueur d’espoir ne vient alors toucher les habitants, les lieux, les montagnes ; le pays est filmé sans désir et sans appel, tout comme les habitants et les comédiens. La générosité, même filmique, n’est pas de mise. Pas de profondeur dans l’image, ce qui aplatit le paysage et donne parfois quelques soucis au chef opérateur : des problèmes de mise au point, des flous car du premier au second au troisième plan, le cadre n’est nullement ordonné, structuré et travaillé. De même l’éclairage, qui change d’un plan à l’autre dans une même scène et donne un aspect amateur à L’Héritage, tout comme les arrivées injustifiées et peu heureuses de très gros plans sur Sylvie Testud par exemple. Testud, actrice autrement magique et lumineuse, est ici complètement perdue et perd peu à peu de sa merveille. Le couple Merhar-Testud (déjà vu dans la belle Captive de Chantal Akerman) est réduit à une peau de chagrin. La direction d’acteurs n’est à la hauteur ni des comédiens chevronnés ni des comédiens peut-être plus novices.
La moralité du film, ne jamais s’occuper des affaires de son prochain, est une vérité implacable. Et le sempiternel problème de l’utilisation innocente ou non de la caméra que Céline fait tourner en permanence (filmer un meurtre n’est pas le faire, nous est-il spécifié ; or, évidemment, filmer le meurtre du grand-père en provoquera malencontreusement un autre) joue davantage sur la caricature que sur la réflexion. La scène clé du film n’est alors pas une surprise pour un spectateur cinéphile qui a vu Avril brisé de Walter Salles (2001), adapté d’un roman d’Ismaël Kadaré. Du manque de rythme, surtout dans la première partie, à l’introduction de sous-titres français par moment mais pas tout le temps, L’Héritage manque de cohérence filmique et n’arrive pas à convaincre, ce qui est bien dommage car l’attente était si forte. Terne, triste… sont alors des mots qui peuvent aussi bien définir le film que les lieux, les personnages et les acteurs.