Une histoire de voisinage, à Buenos Aires comme ailleurs, ça tourne à l’imbroglio. Après avoir glané des prix (à Sundance, aux Rencontres des Cinémas d’Amérique Latine de Toulouse, cinq récompenses à l’équivalent de César argentins – les « Premios Sur »), il sera désormais permis de constater, d’abord, que L’Homme d’à côté ne constitue pas une variation homosexuelle de La Femme d’à côté de François Truffaut. On parlera plutôt de satire socio-architecturale.
Tournant dans la maison Curutchet, construite en 1948 par Le Corbusier dans la capitale argentine, Mariano Cohn et Gastón Duprat entendent faire de cette architecture un personnage à part entière. On attend donc de la part des coréalisateurs une mise en scène pensée en accord avec un tel projet. Notamment en raison d’un propos se voulant comique, on se prend même à rêver d’un geste réactualisant – au moins un peu, il faut savoir raison garder – les grands cinéastes-architectes, tels Buster Keaton et Jacques Tati.
On y croit, un peu et un temps, notamment avec un premier plan graphique faisant se confronter aplats et aspérités. Le gris et le blanc divise l’écran en deux parties égales, la droite est trouée à la masse, avec pour conséquence un côté gauche qui se lézarde piteusement. Ceci se perpétue dans divers jeux spatiaux avec l’architecture – transparence, volumes, etc. Aussi, l’apparition d’un singulier carré noir (« bâché ») sur fond blanc intrigue-t-elle, de même qu’une tête coupée par un meuble de cuisine alors qu’on badigeonne un poulet tout en taillant le bout de gras avec madame. Malheureusement, si l’on retrouvera ça et là quelques idées (singulières saynètes de théâtre de poche), la mise en scène manque précisément de constance et tend même à se banaliser et, par conséquent, à épuiser par ses tics. Parmi eux : l’usage du hors-champ sonore et le tremblement du cadre pour les gros plans sur les personnages, comme l’aveu d’un manque de vitalité et d’idées.
Leonardo est un designer célèbre et riche. Cet esthète raffiné habite, avec sa femme et sa fille, dans la maison Curutchet. On peut considérer que tout va bien pour lui, jusqu’à ce que son voisin de modeste condition, Victor, décide de percer une fenêtre, par laquelle il fait irruption dans le quotidien de ce foyer aisé, déréglant la belle harmonie – familiale, existentielle et architecturale. Plus précisément, le grain de sable révèle que cette harmonie était de pacotille, une sorte de vernis ne demandant qu’à craquer. On se trouve donc à plein dans les codes de la satire sociale ; d’un côté la fibre populaire d’un Victor rugueux et un brin inquiétant, de l’autre la pathétique arrogance d’un Leonardo se révélant incapable d’imposer une autorité à quiconque. Corps, voix et accents, attitudes et goûts permettent de creuser un fossé béant entre les deux êtres.
Au-delà du typage de ses personnages, L’Homme d’à côté entend questionner le regard et la peur de l’Autre, ceci étant mis en scène par le cloisonnement spatial et territorial. Autant de problématiques mettant à mal la morale bourgeoise de Leonardo, et interrogeant éventuellement celle du spectateur. À cet égard, le film pourrait être plus convaincant si l’on sentait moins que le malaise qu’il distille était moins « fabriqué ». De même, le questionnement du point de vue – social et de la caméra – s’avère un peu forcé. Au bout du compte, si cette mise en scène de l’altérité sociale se retient plutôt aux branches pour ne pas tomber dans tous les écueils du genre, elle ne manque tout de même pas de dérouler un menu assez convenu. Notamment cette idée que l’on serait prisonnier de schémas de pensée – ah bon !? – préconçus empêchant d’aller à la rencontre de l’Autre.