Son premier film, Se souvenir des belles choses, avait un scénario intéressant — un homme recouvrait la mémoire tandis que sa jeune amoureuse la perdait — et une simplicité fort touchante. Ici, Zabou a sans doute voulu prouver ses qualités cinématographiques et ses connaissances : elle tombe malheureusement dans une démonstration technique, prouvant qu’elle maîtrise travellings, panoramas, gros plans. Mais, après un début réussi, son histoire semble attendue, pesante, et le film devient long, très long.
L’Homme de sa vie démarre sur des chapeaux de roue : après un générique sur papier peint rose pâle, Zabou installe ses protagonistes dans une atmosphère vivante, mouvementée et parfaitement rythmée. Frédéric et Frédérique (un jeu sur le dualité sexuelle des prénoms annonce de façon légèrement évidente la suite des événements) passent leurs vacances dans la Drôme. Avec ses enfants qui refusent de se brosser les dents, ses départs désordonnés à la plage, ses va-et-vient, L’Homme de sa vie a dans ses premières minutes quelque chose du joli film de Pascal Thomas Les Maris, les femmes, les amants. L’arrivée du voisin, Hugo, va chambouler ce désordre joyeux : à la fin du dîner, fin qui se prolonge tout au long du film par flash-back, une relation amoureuse se noue entre Frédéric et Hugo et entraînera la chute, métaphorique et physique, du couple parfait.
La découverte d’une homosexualité est toujours un sujet bancal tant il est difficile de ne tomber ni dans le dégoulinant ni dans l’abstrait. La première demi-heure laissait escompter une réussite dans son traitement. Zabou y filme avec grâce les hommes et la nature : elle pointe la dissymétrie des arbres comme les déséquilibres humains dans les conversations. Elle souligne un courant d’air dans la porte d’entrée pour noter l’arrivée (en coup de vent) d’un personnage déstabilisateur. Elle déstabilise elle-même en changeant sans cesse de point de vue, de genre même, notamment lors d’un pastiche de cinéma muet des années 1920 où chaque membre de la tribu (tous parfaits en ces premières minutes) se regarde dans un glace, séquence mêlant humour et mélancolie, prouvant que la demoiselle a de la suite dans les idées.
Tout commence donc plutôt bien, et on se laisse facilement porter. Mais voilà, le ton, la volonté et la manière change radicalement au bout de quarante minutes. De la légèreté mélancolique assumée à la lourdeur la plus énervante, il n’y a qu’un pas. Zabou tombe rapidement dans la démonstration : le couple bat de l’aile après l’arrivée d’Hugo, Frédéric tombe lors d’un jogging et se casse la cheville ; les deux hommes sont irrésistiblement attirés l’un par l’autre, elle filme ainsi une scène « torride » de tango…
La jeune réalisatrice se perd aussi esthétiquement en voulant montrer qu’elle maîtrise tous les outils techniques, et change de plans en permanence, sans raison apparente. Une mention spéciale est accordée aux longs panoramas sur Berling et Campan dans la solitude des champs de tournesols. La direction d’acteurs, elle aussi, change du tout au tout. La finesse des moments initiaux laisse place à une hystérie générale (pourquoi faire hurler la charmante Léa Drucker ?), amplifiée par la philosophie de comptoir du dialogue récurrent entre les deux hommes.
Bouquet final de l’extrémisme, le dénouement arrive comme un cheveu sur la soupe et en devient un brin ridicule, alors qu’il se voudrait tragique. L’Homme de sa vie sait imposer une atmosphère dans son premier tiers, mais ne respecte pas la logique de celui-ci. Le film devient rapidement interminable, usant et abusant de la fausse fin qui ré-enclenche une scène, puis une autre. Vraiment dommage, car Zabou avait visiblement plus d’un tour dans son sac.