Remarquée pour ses courts métrages et son premier long (Un certain regard en 2002), Delphine Gleize reprend son film réalisé pour des ciné-concerts avec Arthur H dans les Landes. Malgré le traitement ambitieux d’une bonne idée de départ, L’Homme qui rêvait d’un enfant peine à dépasser la simple fascination qu’exerce sa mise en scène.
Avant l’image, il y a le son. Puis, autour des premières images, ralenties, peu de son réaliste, surtout la musique d’Arthur H qui renforce le caractère onirique de la scène, très courte, et qui reprend une partie des éléments de l’affiche du film. En quelques secondes, Delphine Gleize donne le ton. Ce sera plastiquement beau, oscillant entre le dépouillé et le baroque. Intrigant, déconcertant sans non plus tirer vers une forme expérimentale. De quoi rendre un peu trop perplexe pour être véritablement passionnant. Développant richement une idée farfelue (un homme adopte un enfant et s’aperçoit à son arrivée que c’est un vieillard), Delphine Gleize réalise un film aux personnages qui brouillent la notion d’adulte, et construit un univers filmique à l’image de l’univers enfantin : intemporel et empreint de merveilleux. Au-delà des pôles que représentent les scènes réelles et irréelles, Delphine Gleize s’arrange pour que chaque plan soit suffisamment singulier pour donner au film la forme d’un conte. Avec cohérence, de nombreux éléments concourent à cet effet. D’abord avec une utilisation de ce que l’on nomme en littérature le merveilleux, par opposition au fantastique, puisque des choses extraordinaires se passent sans qu’il y ait de réel étonnement. Lorsqu’Albert va à la gare chercher l’enfant qu’il vient d’adopter et qu’il découvre Jules (Darry Cowl), il est un peu surpris par son âge mais ne pense pas à le renvoyer. Jules est vieux, c’est ainsi. D’ailleurs il n’est pas un vieux, plutôt un enfant dans un corps âgé. Les autres personnages sont aussi directement issus de l’univers des contes puisqu’on retrouve l’image de la grand-mère (Esther Gorintin, hors du temps), ici une mère aux allures de magicienne, et la belle autour de laquelle les hommes se déchirent (Valérie Donzelli).
Au-delà du scénario, les objets visibles à l’écran font aussi souvent penser, par leurs déformations, à ceux d’un conte, comme les œufs énormes que vend Alfred ou les poules qui ont le pouvoir de se vexer, de réagir aux hommes. La mise en scène repousse elle aussi tout réalisme et les cadres laissent régulièrement hors-champ des éléments majeurs de la scène en cours, comme lorsqu’Alfred trifouille quelque chose dans une pièce de sa maison mais qu’on ne voit pas quoi. Ces actions invisibles donnent l’impression d’une présence vivante tapie dans l’ombre et dans les objets eux-mêmes. Le jeu d’Artus de Penguern n’y est pas pour rien : dans sa manière d’observer les objets qu’il manipule, il y a à la fois le regard naïf et concentré de l’enfant et la tendresse dévouée du père. Une façon de donner vie en embrassant du regard. Tournées en HD en décors naturels, puis très retravaillées en postproduction, les images elles-mêmes renforcent la solitude distillée par les paysages. Souvent légèrement granuleuses ou au contraire très lissées, elles donnent un ton irréel à l’ensemble. Dernière contribution au conte, peut-être la plus intéressante, le travail sur le son, particulièrement celui dont la source est invisible : le son acousmatique. Plus subtilement encore que l’image dans son rapport au hors-champ, le son stimule l’imagination. Il l’oriente, crée une ambiance ou joue avec celle dégagée par l’image. Dans ce film où les deux hommes ne parlent pas, les paroles passent directement par les images, à travers les mouvements et les expressions des visages. De ce fait, le son prend une position plus forte. Il résonne dans et hors du cadre, faisant plus que d’ordinaire partie intégrante de son architecture.
Si son rôle est important, c’est aussi que L’Homme qui rêvait d’un enfant est né de la volonté du Conseil Général des Landes d’organiser des ciné-concerts. Une première mouture a donné lieu à trois séances avec la musique live d’Arthur H et de musiciens amateurs. Delphine Gleize a tenu par la suite à ce que le film soit distribué en salles, d’où un remontage et un second travail sur la musique. Il semble que le film ait mal résisté aux conditions de projection classique. Sans avoir vu les ciné-concerts, il est possible d’imaginer la puissance justifiée de l’ambiance sur le récit : les musiciens en live, un grand nombre de spectateurs, la présence des Landes à l’écran et de l’écran dans les Landes… Projeté dans des conditions classiques, la force diminue.
Il reste que L’Homme qui… réserve de très belles scènes. Gleize filme la vieillesse de Darry Cowl qu’il exprime par une gestuelle d’enfant. Mais là où si souvent il fut comique, il y a ici quelques moments de grâce où il échappe aux âges et aux genres. Lorsque Alfred le lave et qu’il joue avec la mousse du bain en se faisant une fausse barbe, il y a quelques secondes d’un regard étonnant, où l’âge de l’acteur transpire du personnage pour diffuser une extrême sagesse et une mélancolie qui ne s’opposent pas non plus à Jules l’enfant. Ce visage unique de la vieillesse et de l’enfance est donc la plus grande qualité du film, bien plus que la justification psychologique (le lien immaturité-absence du père) qui, plus réaliste, s’allie mal avec les effets poétiques de la mise en scène. Il reste aussi à saluer la mémoire de Darry Cowl, mort avant la réalisation complète du film, ainsi que la réalisatrice pour lui avoir confié un rôle qui dépassait le cabotinage.